Bizita Q
Scénario de Itaru Era
Avec Kenichi Endo, Shungiku Uchida, Kazushi Watanabe, Shoko Nakahara,
Fujiko
Avez-vous déjà couché avec
votre père? […] Avez-vous déjà reçu un coup à la tête? […] Avez-vous
déjà tapé votre mère?
Ces trois interrogations (pertinentes) annoncent
les trois premiers segments de Visitor Q - ou comment Takashi
Miike traite un film de commande sur le sujet de la famille.
Pour ceux qui n'auraient pas encore été présentés, bonjour et bienvenue
dans un famille japonaise tout ce qu'il y a de plus normale. Ah,
excusez-moi; vos critères de normalité occidentaux diffèrent peut-être
quelque peu de certains équivalents japonais, alors je vais vous
offrir le grand tour, histoire de vous mettre plus à l'aise. Voilà.
Vous êtes bien installé? Alors nous pouvons commencer.
Voici tout d'abord Papa, dont la carrière à la
télé est en chute libre depuis qu'il s'est fait enfoncer un micro
dans le rectum en live par une bande de voyous. Sa fille,
qui se prostitue avec plaisir depuis qu'elle a fugué de la maison
familiale, l'incite à coucher avec lui, par simple curiosité. Maman,
elle, passe pas mal de temps à se défoncer à l'héroïne - enfin,
quand elle n'est pas en train de se faire ruer de coups par son
jeune fils, un garçon tout ce qu'il y a de plus fonctionnel qui
ne cesse de se faire humilier violemment par ses camarades, sur
le chemin de l'école.
Papa fait ce qu'il peut pour trouver de nouvelles idées télévisuelles,
des reality-shows extrêmes susceptibles de lui rendre sa
gloire d'antan. Du coup, bien évidemment, il ne peut pas vraiment
se permettre de perdre son temps à houspiller son rejeton lorsqu'il
pulvérise l'ensemble du service à vaisselle de la maison sur la
tête de sa mère, ou qu'il passe celle-ci - littéralement - au travers
des murs (il faut le comprendre, ce pauvre adolescent. Vous aimeriez,
vous, que l'on pénètre dans votre chambre sans autorisation?).
Et puis Papa se la joue plutôt profil bas avec Maman: comment lui
avouer qu'il couche avec leur fille alors qu'eux même ne couchent
plus ensemble? Vous comprenez aisément que la situation est délicate.
Mais finalement, pas si inhabituelle que ça, n'est-ce pas? Oseriez-vous
dire que vous vous en sortez mieux que ce beau petit monde?
Quoiqu'il en soit, la petite famille est en danger. Heureusement,
Q passe par là. Pour se faire inviter, il utilise une technique
redoutable: il fracasse le crâne de Papa à l'aide d'un caillou énorme,
puis prétend lui venir en aide et le raccompagne chez lui.
Et Q, avec son air nonchalant et sa tête de kakou funky inexpressif
et muet, croyez-moi, ce n'est pas n'importe qui. S'incrustant dans
la maisonnée, il va tenter d'amener Papa, Maman et leurs enfants
à se réunir à nouveau, pour le meilleur, et pour le pire…
Tourné en vidéo numérique avec
une maîtrise discrète (le jeu de points de vue de la première
séquence donne tout son sens à l'utilisation d'un DV en quelques
instants), Visitor Q est l'un des films les plus outrageusement
barrés de son réalisateur. Se défiant de tous les tabous (la
nécrophilie en particulier), baignant ses personnages dans l'immoralité
la plus complète pour les amener vers une rédemption qui passe avant
tout par la réunification, quel qu'en soit le contexte, Miike nous
entraîne dans l'intimité déglinguée d'une famille pas si aberrante
que ça. Si les dérèglements sont certes poussés à leur paroxysme
pour parfaire la démonstration, ils n'en demeurent pas moins universels.
Certains taxeront la symbolique de simpliste, ce qui n'est pas complètement
faux, mais peu de gens pousseraient l'honnêteté de la carte de la
maternité jusqu'à montrer du véritable squirting, vous ne
croyez pas? La force de Miike, c'est justement de savoir exposer
des solutions proportionnelles aux problèmes de chaque membre de
la famille, sans quoi il aurait été impossible d'avoir un tel équilibre.
Et le plus fort, dans tout ça, c'est bien sûr que Visitor Q est
au final empreint d'une poésie sublime, tellement humaine dans son
côté primal qu'elle en deviendra, pour certains, difficile à regarder
en face. Mais le message n'est en rien différent de celui
délivré par un certaine famille nippone du nom de
Yamada: quoiqu'il arrive, c'est l'unité qui fait la force
d'une famille. Et c'est justement grâce au traitement dépouillé
de ce cas extrème, qui n'en reste pas moins léger
et drôle dans tous ses dépassements inavouables, que
Miike parvient, une fois de plus, à faire passer le message
mieux que quiconque.
Si on y réfléchit bien, quelque part, Miike n'est-il
pas un peu notre Visitor Q à nous?