Izô: Kaosu mataha fujôri no kijin
Scénario de Takechi Shigenori
Musique de Kôji Endô
Avec Kazuya Nakayama, Kaori Momoi, Ryuhei Matsuda, Beat Takeshi (Takeshi
Kitano), Ken Ogata, Hiroki Matsukata, Miki Ryôsuke, Mickey Curtis,
Kenichi Endo, Ryûji Harada, Renji Ishibashi, Hiroyuki Nagato,
Bob Sapp, Tokitoshi Shiota, Haruna Takase, Susumu Terajima, Kazuki
Tomokawa, Yuya Uchida, Taro Yamamoto, Joe Yamanaka
Un ovule est fécondé, un homme est né… puis exécuté.
Izo Okada, ronin de la seconde moitié du dix-neuvième siècle,
est attaché à une croix. Deux hommes armés de lances, le transpercent
de toutes parts de nombreuses fois. Mais Izo est Rage, Haine, Violence,
et ne peut pas mourir. Ne veut pas mourir. L'enfer le voudrait
? Qu'à cela ne tienne : il sera son représentant sur Terre. Si l'Histoire
est écrite à la force du sang versé par les hommes, Izo sera le
moteur de cette Histoire. Réincarné d'époque en époque, errant tel
un démon parmi les hommes dans le but de se venger de tout et de
tous, Izo tue tous ceux qui se mettent sur son chemin. Sans s'expliquer,
sans s'excuser. Avec pour seul volonté de rester lui-même, coûte
que coûte, tel un affront envers les Dieux, entités fictives nourries
par les mensonges des Hommes, qu'il renie et défie sans cesse.
Pourtant Izo est l'Homme, ainsi que son antithèse.
Comme le décrivent le personnage incarné par Ryuhei Matsuda et ses
deux gardiens, il est à la fois avec et sans visage, avec et sans
âme : l'incarnartion de l'absurdité. Est-il brutal parce qu'il est
humain, ou justement humain parce qu'il est brutal ? De tout temps,
l'Homme a tué son prochain, usé de violences au nom de la démocratie
ou de toute autre chimère sociale, pour s'imposer en tant que tel.
Son pouvoir passe par la destruction, aussi la douleur qu'il procure
devient-elle preuve tangible de l'existence de chacun. A tel point
semblerait-il, que sa volonté de destruction devient indissociable
de son désir de création.
Izo combat les Dieux et les Hommes, et pourtant
il convoite le statut des deux. Il veut devenir Dieu en s'affirmant
comme Homme, en se laissant aller à ses pulsions - meurtrières,
sexuelles -, prouvant par là même qu'il n'est tributaire d'aucune
loi. Les lois qu'il défie là encore, tout comme les armées, les
autorités religieuses, les yakuza et toute autre " organisation
" qui s'attache à la réécriture de l'ordre des choses. Puisque sa
mort est impossible, il lui faut se tuer au travers des autres,
et notamment de sa mère. Se faire face aux yeux du passé, mais aussi
de l'avenir - c'est pourquoi Izo en vient même, se tranformant peu
à peu en démon, à porter sa lame sur des enfants.
Izo tel que décrit dans le film de Miike, est
une perturbation. L'imperfection nécessaire à l'expression de la
perfection humaine, dans tout ce qu'elle a d'incomplet et d'absurde.
C'est parce qu'il est inacceptable que sa présence est inévitable,
c'est parce qu'il remet en question les pouvoirs en place qu'il
est nécessaire. Révolution et conservation, mort et renaissance
: tout est dans tout, tout fait partie de tout. Izo fait partie
des Hommes et de l'Histoire, pourtant il s'acharne à les détruire.
En tant qu'imperfecion, Izo est toléré par les
Dieux qu'il renie, puisqu'il est la marionnette de leur volonté.
En tant que ronin déjà, la punition divine (Tenchu)
qu'il croyait distribuer n'était pas sienne. Réincarné à l'infini,
explicitement condamné à porter sa haine le long d'un ruban de Mobius,
il n'est que l'expression d'une volonté divine, désireuse de confronter
l'Homme à son existence et sa destinée. Bien qu'apparemment nihiliste,
Takashi Miike confronte ainsi son personnage jusqu'au boutiste,
incarnation du Chaos qui gouverne la Vie et la Nature, à notre réalité
: la violence. Les preuves de l'existence des Dieux dans Izo
sont discrètes mais évidentes, au travers des fleurs qui tantôt
restent silencieuses, tantôt se rient de l'absurdité du questionnement
humain. Car oui, les fleurs se moquent d'Izo, cet être qui leur
passe à côté sans réellement les voir, trop préoccupé par sa propre
futilité.
Peut-être Izo est-il simplement là pour offrir
à chacun la possiblité de renaître, sous un ciel nouveau. S'il ne
peut trouver ce qu'il recherche - sa propre affirmation - c'est
parce qu'il demeure insensible à la vie qui l'entoure, et ne peut
donc jauger ou assumer sa démarche. Il lui faudra affronter
la douceur de l'Homme, sa grâce et non sa violence, pour comprendre
enfin qui il est, et comment il peut s'accepter. Devenu un démon
et vaincu par un Homme, Izo nous offre la possibilité de connaître
la question qui devrait, au bout du chemin, définir chacun d'entre
nous : " Toi, comment as-tu vécue ta vie, et qu'as tu vu ?
"
Miike nous renvoie à l'interrogation finale de Dead or Alive 2, qui traitait déjà de réincarnation vengeresse
au travers de la renaissance improbable des entités incarnées par
Sho Aikawa et Riki Takeuchi dans le premier Dead
or Alive. Il nous demandait alors : " Where are you now
? " Si Izo avait entendu cette question plus tôt, et accepté
de s'assumer au sein du monde plutôt que de le détruire - servant
ainsi la volonté de changement de quelqu'un d'autre - il aurait
certainement vécu non pas sa vie mais sa mort, d'une façon différente.
Car Izo tels Sho et Riki - démiurges de l'univers Dead or Alive
qui tantôt partagent, tantôt se disputent une conception de la vie
sur Terre - refuse d'accepter que la vie soit imparfaite. En refusant
d'admettre que le sang qui coule dans nos veines est amené à être
versé, en reniant cette imperfection intrinsèque à
l'Humanité, c'est lui-même qu'il renie. Sho Aikawa et Riki
Takeuchi faisaient de même dans la trilogie DoA, se retrouvant
à chaque fois dans un cul de sac, mais Miike s'y était contenté
de trois impasses. Il tire ici le concept à l'extrême, Izo faisant
face à une infinité de résurrections, et par conséquent à autant
d'échecs.
Puisant sa force d'une énergie volontairement redondante,
Izo est donc un peu le Miike " ultime ", l'appel à la conscience
de soi le plus violent que le réalisateur nous ait jamais lancé.
Il est hermétique, c'est certain - d'ailleurs Miike en a lui-même
conscience -, mais tellement rageur qu'il atteint forcément même
le plus passif des spectateurs. Et pour peu que ledit spectateur
garde les yeux ouverts et accepte de voir les fleurs qui jalonnent
le parcours du démon meurtrier, au milieu des images de guerres
et de massacres, il en saura au bout du compte, un petit plus sur
lui-même.
Gigantesque fresque barbare à vocation humaniste,
Izo incarne sa propre perturbation, l'imperfection de sa
propre perfection. Ses 126 minutes de Haine constituent en quelque
sorte le 2001 de Takashi Miike, sa réponse à une quête de
raison à notre existence. Une raison qui ne peut se trouver qu'en
nous, au regard des autres et du monde qui nous entoure, et que
nous aimons et, souvent, détruisons. Izo, c'est cela, le
tout et le rien, la cohérence et l'absurdité, réunis en un projet
cinématographique d'une rare intensité et d'une maîtrise formelle
ahurissante : Izo, c'est l'Homme.