Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon
L’eau remplace le feu, le mécanique s’efface devant l’organique, et Dee perd quelques années pour la seconde incursion de Tsui Hark dans l’univers de ce Detective, que l’on retrouve ici avant qu’il n’obtienne le bâton de juge symbole de son impartialité. Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon porte d’emblée bien son nom : la flotte dépêchée par l’impératrice consort Wu Zetian (Carina Lau) pour combattre les forces de l’ennemi Fuyu, est décimée par une colossale créature marine. La rumeur de l’existence de ce dragon se répand dans les rues de Luoyang, et la ville choisit de préparer la courtisane Yin Ruiji (Angelababy) à apaiser les divinités par le sacrifice. Yuchi (Feng Shaofeng), officier en charge du Da Lisi, ministère de la justice, est chargée par Wu Zetian d’enquêter sur ce mystérieux dragon. Alors que Dee (Mark Chao), pas encore détective, arrive en ville pour prendre ses fonctions au sein du Da Lisi, il surprend les manigances de félons en passe d’enlever Ruiji. Il s’immisce de fait dans l’enquête de Yuchi, et tous deux vont croiser le chemin d’un autre dragon des mers, humanoïde celui-ci, créature qui semble décidée à protéger la courtisane de ses agresseurs...
Dans la filmographie de Tsui Hark, le personnage de Detective Dee se dresse d’une certaine façon à l’opposé de Wong Fei-hung : indiscipliné, il fait l’amalgame entre tradition et formalité pénible, et contrarie donc allègrement l’autorité impériale et ministérielle. Néanmoins sanctionné par l’Empereur pour juger tout homme, indépendamment de son rang, le surdoué Dee figure quelque peu Hark lui-même, œuvrant au sein d’une colossale production chinoise [1] tout en se jouant gentiment de l’autorité du mainland [2]. Tsui Hark évoque ainsi la situation des îles Senkaku au travers du retour de bâton des insulaires de Dondo (qui vivent au beau milieu du conflit opposant l’Empire du milieu à son adversaire Fuyu), autant qu’il s’amuse à faire boire de l’urine d’eunuque à l’ensemble des dignitaires et membres de la cour impériale, sous couvert de remède à une terrible infection parasitique. Le réalisateur incarne ainsi un très divertissant mal nécessaire, cinéaste trublion autant qu’incontournable.
N’allez pas croire pour autant que Young Detective Dee soit bardé de sous-texte : plus encore que Detective Dee – Le Mystère de la flamme fantôme, c’est avant toute chose un divertissement fantaisiste de haute volée. En remplaçant Andy Lau par Mark Chao, Hark retire à Dee un peu de sa tenue, fait une part peut-être trop grande à la nonchalance, mais compense par la densité visuelle. Peut-être est-ce dû à la qualité de la copie haute-définition qui m’a permis de jouir du film, mais j’ai l’impression de n’avoir jamais profité d’une telle densité visuelle, qui plus est lisible, dans un film de Hark auparavant. Couleurs, détails, matières, mouvements... se disputent l’attention virevoltante du metteur en scène, qui préfère ici de loin l’action aux bavardages. Tel Dee lisant sur les lèvres des protagonistes, le réalisateur observe sa narration se faire par l’image, dans un déluge d’effets de plateaux et d’intégration numérique que j’ai trouvé, pour une fois, bien équilibré. Il n’y a pas vraiment de suspense global, mais un ensemble d’enjeux microscopiques, tous si agréables à regarder et si savamment enchaînés, que la pilule de la quasi-prescience de Dee passe non seulement sans effort, mais avec un immense plaisir.
J’admets tout de même que la présence féminine a, dans ce rajeunissement, perdu au change. Pas qu’Angelababy ne soit pas très belle – elle l’est – mais son personnage n’est que damoiselle en détresse, Belle flanquée d’une drôle de Bête façon créature du marais, et ne tient pas la comparaison face à la Jing de Li Bingbing. Pour le reste, ce Young Detective Dee, plus spectaculaire encore que son prédécesseur mais moins instruit, est une nouvelle réussite grand public, dans laquelle Tsui Hark manie le spectacle sous toutes ses formes, offre combats aériens et aquatiques, confronte la beauté (de l’image, des femmes, des décors) et une certaine horreur accessible (poisons, tortures, morts et insectes dégueus), oppose créatures numériques et de caoutchouc, mélange tous les tons et toutes les couleurs. On y respire sous l’eau, que l’on soit homme ou cheval, on y combat le long de parois vertigineuses et s’y transforme en reptile... Et, surtout, on y vit un cinéma de divertissement à la fois équilibré et décomplexé, dont il est n’est vraiment pas déplaisant d’imaginer qu’il puisse un jour incarner un dénominateur commun, hautement qualitatif, du blockbuster populaire.
Young Detective Dee : Rise of the Sea Dragon n’est pour l’instant disponible qu’en Asie, avec sous-titres anglais. Le Blu-ray HK est simplement superbe !
Une sortie cinéma en France est prévue le mercredi 25 juin prochain.
[1] Contrairement au premier opus, Young Detective Dee n’est pas une coproduction sino-hongkongaise.
[2] Comme il a pu le faire autrefois au service de productions américaines – souvenez-vous de Jean-Claude Van Damme, fouetté à l’anguille par Rob Schneider pendant une course de pousse-pousse dans Knock Off (Piège à Hong Kong), improbable et jouissive contrefaçon autoproclamée de cinéma HK...