Udon
Food Movie à la japonaise.
Que se soit dans le cinéma de Singapour et l’humour noir de Mee Pok Man (1995) d’Eric Khoo, de Hong-Kong et l’extrémisme de The Untold Story (1992) ou plus récemment Dumplings (2004), ou encore du Japon et de son cultissime nouilles-western poétique Tampopo, l’art culinaire a toujours été une composante essentielle du cinéma et de l’identité culturelle asiatique.
De là à faire d’un film sur une variété particulière de nouilles nippone un succès populaire et commercial, il n’y avait qu’un pas que le duo responsable de l’un des plus gros succès commercial de l’histoire du cinéma de l’archipel, Bayside Shakedown 2, s’est empressé de franchir, célébrant vingt ans après le chef d’oeuvre d’Itami, la tradition culinaire du pays.
Le duo, composé de Chihiro Kameyama, producteur golden boy de Fuji TV, et du réalisateur Katsuyuki Motohiro abonné au plus hautes marches du box office, a délaissé temporairement le commissariat de Wangan, pour la région de Kagawa et ses villages pittoresques constellés d’échoppes à udon [1] des plus obscures aux plus inattendues.
Le jeune Kosuke (Yusuke Santamaria), parti un temps faire fortune aux States en tant que comique de stand-up, doit se rendre à l’évidence : l’humour nippon traverse bien mal l’océan pacifique. Criblé de dettes, le pauvre rêveur doit se résoudre à rentrer au bercail, auprès d’une famille dont le paternel bourru tenant la fabrique d’udon maison est loin de l’accueillir les bras ouverts. Souhaitant avant tout rembourser ses dettes, Kosuke accepte un petit job chez un éditeur local sur les conseils de son ami. C’est sur une idée anodine - celle de créer un petit guide local répertoriant les restaurants d’udon - que ce dernier va révolutionner la petite entreprise d’édition locale, puis le village, avant que la région toute entière ne se soumettent au plus grand boom du moment : l’udon-mania !
Udon nous plonge donc au coeur de la plus petite préfecture du pays, Kagawa (située sur l’île de Shikoku) qui selon l’auteur, comporte le plus grand pourcentage de restaurants d’udon par habitant. Outre la réputation des nouilles en question, la topographie est loin d’être anodine puisque le réalisateur est un natif de la région et que son propre frère Hideyuki, apparaissant dans le film sous les traits d’un restaurateur, est un authentique spécialiste du “sanuki-udon” (variété dont il est question ici).
Qu’à cela ne tienne, Katsuyuki ne versera pas dans la méditation bucolique à la faveur de la culture autochtone, ou encore moins dans le brûlot anti-mal bouffe. Pour les habituels lecteurs de Sancho, le cinéaste est loin d’être un inconnu, et comme souvent il nous livre une oeuvre hybride. Opérant volontiers sur les traces d’un dorama populaire à la Bayside Shakedown, Udon est une franche comédie de divertissement assumée dans sa première partie ; celle au cours de laquelle le héros révolutionne la vie paisible du petit village, épaulé d’une partenaire de choix - c’est une règle dans le genre - grâce à l’attendrissant minois de Manami Konishi (Sakebi, 2006) dont la côte devrait grimper, grimée en intello binoclarde au sens de l’orientation plus qu’hésitant ; et un drame familial avec juste ce qu’il faut de pathos pour attendrir le spectateur, dans sa seconde partie.
Même si le découpage est moins schématique qu’il y paraît, cette construction permet au cinéaste de prendre le temps d’exposer une galerie de personnages secondaires apportant du souffle et une dynamique au scénario, notamment au travers des péripéties de la petite équipe de rédaction en quête des plus obscures échoppes de la région ; ceci avant de glisser progressivement vers le noeud dramatique d’une relation père-fils ancrée dans le non-dit. On passe ainsi allègrement du comique au drame familial, sans oublier le récit d’apprentissage dont la figure de Kosuke, prototype du jeune urbain désoeuvré aux rêves de célébrité tentant de trouver sa voie et son identité, pris au piège entre son désir d’assumer l’héritage paternel, et celui d’être un acteur comique. Le réalisateur, bien qu’attaché aux traditions, n’en oublie pas pour autant l’époque contemporaine et l’appétit de cette jeunesse en quête de reconnaissance, appétit qu’il aidera à combler, à l’image du final du film, laissant augurer d’une possible suite au métrage.
Udon malgré ses airs de comédie, n’en reste pas moins un drame sensible à la base, certes consensuel mais qui finit pourtant par toucher le spectateur grâce à la justesse de ses acteurs. Piété filiale oblige, la famille ne laissera pas sombrer dans l’oubli l’artisanat familial, et qui plus est chacun se réalisera selon sa nature, comme dans tout bon roman d’apprentissage. Même si on est loin de l’intelligence d’écriture d’un Koki Mitani (The Uchôten Hoteru, Warai no daigaku, Minna no ie...), Masashi Todayama scénariste du cultissime Messengers (1999) et fidèle du réalisateur parvient à donner corps et crédibilité à cette aventure rocambolesque, faisant passer un petit village du stade de l’anonymat à l’attraction touristique du moment. Si seul le Japon est capable de créer de tels phénomènes de mode en si peu de temps, l’auteur ne se prive pas d’ironie ni de critique face à ces gourous des modes, montrant au passage les dangers d’un tel phénomène pour un village aux habitudes paisibles.
La réalisation de Katsuyuki manquant parfois de sobriété, toute au service d’une efficacité rythmique et narrative, ne s’embarrasse pas de longueurs, usant de plans à la grue et abusant de split screen multiples, sans oublier une musique omniprésente dont le thème du Carmen de Bizet, devient un leitmotiv musical rythmant les péripéties du petit groupe. On ne pourra non plus s’empêcher d’évoquer l’inévitable séqeunce CGI de super-héros donnant naissance à Captain Udon, concurrent affiché de Yakisoban [2], prétexte à un nouveau cameo de Susumu Terajima, jamais à cours d’idées, dans une parodie à la Matrix.
A l’image de l’art culinaire nippon, qui pour certains manque de saveur, Udon manque parfois d’épices et reste dans l’ensemble un divertissement consensuel et familial de très bonne facture certes, mais loin de l’originalité d’un Tachiguishi retsuden (2006), (le dernier ovni de Mamoru Oshii... tiens encore un film de nouilles !), ou de l’imaginaire poético-érotico-comique du grand Juzo Itami et de son Tampopo. Nul doute que le duo de producteurs avisés prépare une suite avec, à n’en pas douter, le retour de Captain Udon !
Site officiel en japonais : www.udon.vc
Disponible en DVD édition japonaise (standard & premium) chez Toho Video.
[1] Variété de nouilles japonaises épaisses et composées de farine de blé, d’eau et de sel. Au Japon on trouve même des spécialités régionales telles que “sanuki-udon” (préfecture de Kagawa), “inaniwa-udon” (Akita), “hôtô” (Yamanashi), “kishimen” (Aichi)...
[2] lire l’article sur U.F.O. Kamen Yakisoban Ikari no Agedama Bonbâ (1994)




