The Murderer
Noir les horreurs [1].
Na Hon-jin avait fait sensation en 2007 avec son premier film, The Chaser. L’essai restait à être transformé. Lorsque je l’avais interviewé, les réponses du réalisateur étaient restées évasives. Cette réussite allait-elle rester sans lendemain ? Même si The Murderer n’est pas un film parfait, une intrigue un peu trop confuse à la fin notamment, il n’en est rien. Le réalisateur coréen est clairement passé à la vitesse supérieure. Si, comme dans The Chaser, la poursuite est au cœur du film, ce dernier a pris une autre dimension.
The Murderer est évidemment un polar, mais aussi un mélodrame (même si les femmes sont pratiquement absentes de l’écran, elles sont au cœur des motivations de plusieurs personnages clés) et un film "politique". Ce n’est sans doute pas par hasard que les nombreux meurtres du film ont pour origine la décision d’un banquier.
Gu-Nam travaille comme chauffeur de taxi dans la ville chinoise de Yanji, où vit une importante communauté de chinois d’origine coréenne. Ils sont surnommés les joseonjok par les coréens du sud. Il a emprunté 60 000 yuans pour payer le visa permettant à sa femme d’aller travailler en Corée du Sud, mais ne reçoit plus de nouvelles d’elle. Il doit rembourser ce prêt, mais l’argent qu’il gagne la journée, il le perd le soir en jouant au Mah-jong. Les gros bras du prêteur viennent régulièrement lui frotter les côtes pour lui rappeler sa dette. Après une bagarre dans un bar, un caïd local le remarque et lui propose de rembourser son prêt s’il va tuer quelqu’un en Corée du Sud. Gu-Nam accepte le contrat car ce voyage lui permettra aussi de savoir ce qu’il est advenu de sa femme. Sans le savoir, il vient de mettre le doigt dans un engrenage dont il n’a aucune idée des conséquences.
Dès le début, Na-Hon-jin inscrit son film dans l’environnement poisseux et misérable de ces coréens d’outre-Mer Jaune, avec ses immeubles délabrés, son marché aux chiens… Une ambiance glauque dont ne se départira pas le film. Les films "nihilistes" m’exaspèrent habituellement car on sent trop les gimmicks de scénario. Mais ici le désespoir s’inscrit dans la logique de l’histoire.
The Murderer est un film sur les barbares, au sens où l’entendaient les romains : les personnes vivant au-delà des frontières de l’empire. Elles sont craintes et méprisées parce venant d’une civilisation jugée inférieure. Les méthodes changent, mais les problématiques semblent rester éternelles. Les barbares des temps anciens convoitaient les richesses de l’empire pour les piller, tandis que de nos jours les immigrés viennent chercher de meilleures conditions de vie. Ils émigrent pour une question de survie économique. Le polar porte cette problématique à son point d’incandescence. La quête de Gu-Nam en Corée du Sud finit par devenir existentielle. Il lutte pour sa survie, tout simplement. Il semble dès lors disposer d’une énergie infinie pour échapper comme par miracle aux multiples affrontements.
Le caïd de Yanji débarque avec ses troupes dépenaillées en Corée du Sud, qui font tache dans les hôtels de luxe. Les gangsters du cru ne cachent pas leur mépris pour ces « pouilleux ». Et ils ont bien tort. La loi du milieu veut que la nouvelle génération - ici les gangster venant de Chine - prenne le pas sur l’ancienne. Cette dernière s’est embourgeoisée, et ses méthodes, si dures soient elles, sont remplacées par de plus cruelles. La pellicule suinte le sang ; les gangsters de tous bords préférant s’écharper à coup de couteaux et de hachettes ! Peut être même un peu trop. Je n’ai pas compté le nombre de morts, mais il doit dépasser les cinquante ! Il faut être de la police pour sortir son flingue - et encore faudrait-il savoir l’utiliser !
The Murderer est un film d’une énergie intense. La rage de Gu-Nam, qui n’a rapidement plus rien à perdre, contamine la réalisation. Lors des nombreux affrontements du film, la caméra de Na Hong-jin reste au contact des personnages avec un montage très découpé. Le film, qui dure deux heures et vingt minutes, aurait gagné à être resserré. L’attention (la tension) s’effrite quand le film s’étire.
Na-Hon-jin nous offre de belles poursuites, aussi bien à pied qu’en voiture. Dans la dernière course-poursuite automobile, on distingue seulement les visages des conducteurs, le choc des impacts et les feux des voitures étirés par la camera numérique. Le spectateur perd la compréhension de l’action, mais est mis au cœur du chaos. Cette scène résume le talent de cinéaste de Na Hong-jin, et l’expérience offerte par The Murderer aux spectateurs.
he Murderer sortira en France le 20 juillet.
[1] Un des morceaux du premier album des Béruriers Noirs, Macadam Massacre. Certains riffs rageurs de Loran auraient constitué un bon accompagnement au film.




