The Bullet Train
Les autorités sont en émoi. Alors que le Hikari 109 vient de prendre le départ avec 1500 passagers, un terroriste affirme avoir placé à son bord un engin explosif qui se déclenchera si le train à grande vitesse descend en dessous des 80 kilomètres/heure. Pour prouver qu’il ne rigole pas, le vil anonyme attire l’attention de ses interlocuteurs sur un train de marchandises piégé par le même mécanisme, qui explose effectivement une fois le seuil atteint... La police et les autorités de transport n’ont alors pas le choix : avant que le train arrive à destination et soit forcé de s’arrêter, il faut identifier et appréhender les terroristes, trouver la bombe et la désamorcer, ou se résoudre à satisfaire leur demande d’argent. A bord du Hikari 109, le conducteur, Aoki, baisse sa vitesse de croisière de près de cent cinquante kilomètres/heure, à la limite du seuil fatidique, pour offrir aux passagers une chance de survivre...
Lorsque le film indien Tezz a été mis en chantier un peu plus tôt cette année, son réalisateur Priyadarshan s’est fortement insurgé contre le titre « Bullet Train » que la presse lui avait attribué, se défendant d’une quelconque filiation avec le film de Junya Sato, en faveur d’une inspiration auprès du Speed de Jan de Bont. Ce qui est amusant, c’est que Speed est lui-même une refonte inconsciente de la matrice de The Bullet Train, en dépit d’avoir enrichi, si l’on en croit son scénariste Graham Yost, la trame du Runaway Train de Konchalovsky. Un train devient un bus avant de redevenir un train, les deux derniers étant forcés de ralentir, et pourtant The Bullet Train, bizarrement, n’entre jamais officiellement dans cette filiation cyclique. Comme l’idée du périple de Jon Voight et Eric Roberts est attribuée à Akira Kurosawa, on est au moins certain d’une chose : tous ces films sont, in fine, de paternité nippone.
Toujours est-il qu’en 1975, l’idée d’une dispositif explosif à base de tachymètre était certainement originale ; et ce d’autant plus qu’elle met ici à mal l’une des fiertés technologiques du Japon, son système précurseur de train à grande vitesse. Le Hikari 109, contraint de s’affranchir de ses capacités, est réduit à l’état de simple train, interdit d’arrêt ; humiliation d’autant plus marquante que toute la sécurité des Shinkansen repose sur leurs mécanismes automatiques d’arrêts d’urgence. Le downgrade devient ainsi, assez ironiquement pour une nation high tech, synonyme de survie. Et pendant que le train ralentit, les protagonistes qui ont initié ou gravitent autour de l’incident, eux, courent contre la montre dans un édifice 100% Toei : Junya Sato, réalisateur maison qui y tourna deux dizaines de film, dirige Ken Takakura et Shinichi Chiba, tous deux à l’affiche, au cours de leur carrière, de plus d’une centaine de films [1] produits par la société. Ici, les deux acteurs ne bénéficient toutefois pas du même intérêt.
Il est évident que les postures et mouvements des personnages influent leur mise en scène. Puisqu’Aoki (Chiba) passe la majorité du film assis aux commandes du Hikari, et que les chargés de la sécurité ferroviaire évoluent, statiques, de téléphones en bureaux, on comprend aisément que The Bullet Train soit transfiguré à chaque fois qu’il s’en retourne à Okita (Takakura), entrepreneur devenu terroriste, et ses compères, ou aux policiers qui les traquent. Constamment en mouvement, en anticipation ou en réaction, ils entraînent la réalisation dans des instances proprement superbes : les gros plans succèdent aux cadrages obliques et autres plongées obstruées, audacieuses, et participent à séparer, toujours plus, l’édifice en deux films très inégaux.
Le premier est un film catastrophe classique, sans éclat particulier puisqu’aucun héros ne naît à bord du train, si l’on excepte le sauvetage de dernière minute opéré par Aoki. Les passagers sont principalement hystériques, agressifs ou les deux, et tendent à l’émeute plus qu’à l’entraide. L’histoire ne se donne même pas le mal d’exploiter les personnalités en présence, groupe de rock ou prisonnier en convoi. Un accouchement à bord du train pimente un peu le tableau, mais l’échec de celui-ci vise simplement à augmenter le nihilisme funeste de l’ensemble, comme si l’acte terroriste d’Okita avait grippé les roues du destin à grande échelle. Pour preuve, cet étonnant deus ex machina qui voit les instructions livrées par Okita à la police pour désamorcer la bombe, disparaître dans l’incendie impromptu du restaurant où elles avaient été déposées. Le scénariste aurait aussi bien pu faire frapper les inspecteurs par la foudre.
La seconde facette de The Bullet Train, elle, est un film policier d’excellente facture, où les décisions et l’action naissent d’inégalités socio-professionnelles et de coups du sort, et où la basse et un certain psychédélisme explosent, en arrière-plan sonore, à la moindre tension ou poursuite comme dans le meilleur des seventies. Ken Takakura y incarne un méchant qui n’en est pas un, véritable héros du film que le destin condamne bien malgré lui. Face à lui, les forces de l’ordre, pour une fois, brillent d’une évidente ingéniosité, jamais à la traine et toujours à la traque. Un jeu du chat et de la souris qui se conclut, tout aussi brillamment, sur un instantané d’exécution qui achève de faire d’Okita une figure résolument tragique, fauchée dans son élan. Et termine d’occulter la dimension ferroviaire du film, finalement anodine ; simple pitch, certes intéressant et efficace, dont on s’étonne tout de même que Sonny Chiba, qui passe tout le voyage ou presque sous son képi et sur son fauteuil, puisse constituer un argument de vente honnête en Occident.
The Bullet Train est disponible en DVD sous-titré anglais, aux USA, en Angleterre et certainement ailleurs. L’édition UK d’Optimum Releasing est tip top, par contre dénuée de suppléments (à l’exception du trailer original et quelques bios).
[1] Plus de 180 même, pour Takakura !