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Japon | Animation

Paprika

aka Papurika | Japon | 2006 | Un film de Satoshi Kon | d’après un roman de Yasutaka Tsutsui

Terroriste des rêves.

Hormis la fable socio-réaliste Tokyo Godfathers (2003), l’univers de Satoshi Kon, l’unes des personnalités les plus singulières du monde de l’animation nippone, demeure préoccupé par l’exploration de ses thèmes de prédilection que sont l’inconscient, la perception, la mémoire et l’identité. Paprika - dont le titre énigmatique rappellera l’ami Tinto aux bons souvenirs d’une part des lecteurs de ces pages - sa seconde adaptation littéraire après son premier long métrage et coup de maître, Perfect Blue (1997), ne faisant point exception.

Dans un futur proche, un nouveau traitement psychothérapeutique, permettant de pénétrer dans les rêves de patients, administré par de petites machines nommées DC mini est inventé. L’un des prototypes encore en phase test est dérobé, créant le trouble au sein de la petite communauté scientifique l’ayant inventé. Atsuko Chiba, collègue de l’inventeur, décide alors de s’aventurer dans le monde des rêves, sous les traits de la jeune Paprika afin de découvrir qui manipule les rêves, et à quel dessein.

Présenté en septembre en première mondiale à la 63ème Mostra de Venise, désormais tribune privilégiée d’un cinéma asiatique d’auteur aux visées internationales, Paprika portait le poids des ambitions de son auteur tant au niveau médiatique qu’artistique. Cette ambition, l’adaptation d’un roman de Yasutaka Tsuitsui [1] réputé inadaptable, se révèle avant tout lors de la première demie-heure du film, l’une des plus dense et exigeante des oeuvres de l’auteur, pour le spectateur. Rapidement entraîné dans les méandres de l’inconscient de ses personnages, Satoshi Kon s’amuse à égarer nos sens, au milieu de protagonistes KDickien perdus entre fiction et réalité. Cette ambition, parfois présomptueuse, semble même s’égarer, avant que l’auteur ne démêle peu à peu l’écheveau du mystère pour rejoindre une trame narrative plus conventionnelle, flirtant avec le crypto-thriller. On assiste par ailleurs à un savant mélange de genres passant allègrement de la comédie au film d’action, au fantastique et à l’étude psychologique, ajoutant ainsi à l’étrange beauté de cette oeuvre fascinante.

Si au final on pourra reprocher à Satoshi Kon d’avoir en partie sacrifié narration et émotion, au profit de l’expérimentation graphique, c’est avant tout par parti pris, celui de s’adresser davantage à notre inconscient, qu’à la logique analytique d’une étude psychologique pour laquelle il excelle. On y trouve pourtant toujours en toile de fond une réflexion, ici poussée à son paroxysme, sur les images et leur contamination dans le réel, à l’image du travail opéré par Cronenberg dans eXistenZ (1999) ; la ressemblance entre le fameux Pod et la DC mini apparaissant comme peu fortuite.

Si l’on se perd parfois dans Paprika, c’est avant tout avec bonheur, tant le cinéaste est un authentique créateur d’univers. Même si le style graphique reste dans une veine réaliste - l’utilisation de la 3D étant de nouveau habilement masquée grâce aux prouesses du studio Madhouse -, loin des audaces du Studio 4° et sa bombe visuelle Mind Game (2004), le fastueux festival offert par Satoshi Kon, est à la fois d’une rare densité et d’un onirisme poétique qui semble se démarquer encore davantage de celui de son mentor Katsuhiro Otomo. Lorsque l’auteur laisse libre cours à sa fantaisie, le médium du rêve devient un catalyseur dans lequel s’engouffre toute l’enfance de l’auteur, entre objets usités, jouets anciens, poupées et statuettes, animaux curieux, personnages populaires... Le film grouillant de références au travers d’une folle parade digne de Robo Carnival (1987), au coeur de laquelle s’entremêlent entités japonaises populaires, et influences occidentales allant de Gargantua au fameux Butterfly Ball (1976) de Tony Klinger.

En réalité, Paprika représente la fusion de deux mondes antinomiques : celui du rêve et règne de l’intangible, et celui de la science et du règne de l’immanence. Cette même dichotomie se retrouve également transposée dans les traits de la protagoniste même, une scientifique, et son double Paprika, personnage de songe, se transformant même en héroïne de série TV (hommage appuyé à la série culte Saiyûki (1978) aka Monkey Magic). Cette dualité mise en lumière par l’auteur semble être autant un constat de société - l’irruption de l’hyper réalité suite au développement des nouvelles technologies - qu’une mise en garde adressée à notre conscience coupable de ne plus savoir distinguer la réalité de l’imaginaire. Cet avertissement se lisant aussi comme une critique de la science, à travers le risque de manipulation de notre inconscient, symbolisé par l’invention de la DC mini. La machine passant du stade de guérisseuse psychique à celle d’arme terroriste instrumentalisée par le pouvoir.

Cette confrontation bi-polaire est menée avec intelligence par l’auteur qui tente de résoudre son paradoxe au sein même d’une salle de cinéma, miroir parfait et interface idéale entre fiction et réel, en forme d’hommage, tenant de la mise en abîme.

Avec Paprika, le cinéaste ouvre une boîte de Pandore, puisant au tréfonds de l’inconscient collectif autant qu’individuel de ses personnages aux trajectoires multiples, pour y faire ressurgir nostalgie ou blessures passées enfouies à jamais, témoignant ainsi de la magnificence de l’inépuisable richesse créative de l’animation japonaise, tout autant qu’une pertinente réflexion sur notre “temps des images”.

Sortie nationale le 6 Décembre 2006.

Site Officiel du film

[1Né en 1934, véritable gourou de la “métafiction” il est l’un des plus importants romanciers de science-fiction au japon. Vivement influencé par Darwin, Freud, et les Marx Brothers, il a construit une oeuvre dense dans laquelle il dénonce la conspiration entre fiction et réalité à l’ère de l’hyper capitalisme gangrenée par la société du spectacle. Ecrivain dérangeant et iconoclaste, il observe une pause volontaire depuis 1993 sous la pression de la pensée unique, et lance "JALInet", premier serveur littéraire au Japon en 1996. Il a également reçu la distinction de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1997. A noter qu’on le retrouve également comme acteur dans des productions aussi diverses que : Nihon igai zenbu chinbotsu (2006), Stacy (2001), ou encore Eli, Eli, lema sabachthani ? (2005).

- Article paru le vendredi 8 décembre 2006

signé Dimitri Ianni

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