Macabre
Slasher de synthèse.
Même si l’Indonésie possède une longue tradition dans la cinématographie de genre horrifique, celle-ci avait jusqu’alors tendance à se nourrir exclusivement des superstitions et croyances locales, faisant un usage abondant des esprits et autres rituels folkloriques ; à l’image du culte Mystics in Bali (Leák, 1981) de H. Tjut Djalil, exploitant à peu de frais la spiritualité balinaise. Relativement peu exporté, le cinéma Indonésien d’épouvante n’en constitue pas moins une part importante de la production locale, ayant eu ses heures de gloires dans les années 70. Depuis le mouvement Reformasi [1], signe d’une étape décisive d’ouverture socio-politique face à l’oppressive ère Suharto, le cinéma local connaît lui aussi une évolution parallèle similaire. On remarque ainsi l’apparition d’un cinéma indépendant en quête de liberté, tout autant que d’affirmation de son identité nationale ; à travers des auteurs tels que Garin Nugroho (Opéra Jawa) ou Nan Achnas (Whispering Sands), sans oublier le mouvement I-Sinema [2]. Une présence certes encore discrète sur la scène internationale, mais augurant d’un souffle nouveau sur une cinématographie en quête de reconnaissance.
Le couple formé par Timo Tjahjanto et Kimo Stamboel, deux jeunes cinéastes ayant opté pour le patronyme de “The Mo Brothers” - bien qu’aucun lien de parenté ne les relient -, à l’instar de leurs aînés thaïlandais Danny et Oxyde Pang, ambitionnent eux aussi de rénover le cinéma de genre du pays de Garuda, tout en le propulsant hors des carcans des stéréotypes locaux. Après un premier galop d’essai sous la forme d’un court-métrage d’horreur (Sendiri, 2003), le duo pose avec Dara (2007) la matrice de ce qui constituera le cocktail savoureux de Macabre, leur premier long-métrage naviguant entre slasher à tendance cannibale, survival, fantastique et humour noir. Étonnant et jubilatoire, ce court figure dans l’anthologie Takut (Faces Of Fear, 2008), première production de Komodo Films [3]. Les Mo Brothers y développent alors le personnage de Dara, future protagoniste de Macabre, révélant ainsi la beauté vénéneuse de l’actrice et ancien mannequin Shareefa Daanish, dont la singularité semble la promettre à un bel avenir cinématographique. Incarnant une patronne de restaurant aux talents culinaires particuliers, que n’auraient certainement pas renié Bunman [4], sans en rénover le genre, Dara insufflait néanmoins à l’horreur locale une veine audacieuse, exploitant avec un certain style et un sens du second degré la figure classique de la démonologie féminine asiatique, dont la beauté fascinante se mue en source de terreur infinie pour le mâle naïf et sans défiance. Figure si habilement cristallisée dans l’archétypal Audition (1999) de Takashi Miike.
Fort du succès remporté par cette incursion réussie dans le champ de la torture récréative, la fine équipe entreprend de se hisser au stade supérieur. Récupérant la totalité du casting de Dara, elle adjoint à la troublante Shareefa Daanish, trois rejetons dont même l’hôpital Sainte-Anne n’aurait pas voulu. On y découvre tout d’abord la séduisante et lascive Maya (Imelda Therinne), égarée sur une route de campagne en pleine nuit pluvieuse, dont les charmes avenants appâteront sans mal un groupe d’amis venus raccompagner à Jakarta le couple de jeunes mariés Adjie (Ario Bayu) et Astrid (Sigi Wimala), sur le point de s’envoler pour l’Australie ; et dont la tendre et gracieuse épouse arbore un ventre bien rond en phase terminale de grossesse. A cette tentatrice s’ajoute le bellâtre psychopathe Adam (Arifin Putra) à la force surhumaine, dont chaque réplique singeant un Norman Bates asiatique provoque l’hilarité générale. Sans oublier le rondouillard et apprenti boucher Armand (Ruli Lubis), dont le mutisme et la perversion auraient parfaitement pu en faire un compagnon de jeu idéal pour Joël Lefrancois (Hans) dans Frontières (2007). Ainsi, le groupe d’amis acceptant naïvement l’hospitalité de la demeure isolée dirigée par la matriarche Dara, ne tarde pas à se rendre compte des intentions maléfiques de la famille modèle.
Aussi curieux que cela paraisse on trouve un certain Eric Khoo, digne représentant du cinéma d’auteur singapourien, par l’entremise de sa société Zhao Wei Films à la production. Pour autant la présence de celui qui rêve de faire un film de zombie depuis plus de dix ans [5] n’apparaît pas si déplacée, eu égard aux indéniable qualités esthétiques de Macabre. La caméra portée très mobile des frères Mo épouse les moindres sursauts d’angoisse de ses victimes. Mais surtout, elle prend le contre-pied de l’esthétique léchée aseptisant le slasher contemporain. On pourrait presque voir dans les choix esthétiques de Macabre la volonté de traduire certaines qualités du cinéma indépendant singapourien, en particulier le travail sur la lumière naturelle dont la photographie légèrement low key aux dominantes brunes accentuent l’aspect sordide et poisseuse de l’atmosphère. A cela s’ajoute un travail sur la profondeur de champ, alternant gros plans et mise au point sur l’arrière plan, permettant tantôt à la peur de surgir habilement à l’image, sans opter systématiquement pour la facilité d’effets spectaculaires surajoutés d’effets sonores ad hoc. En outre, ce travail œuvrant vers un certain naturalisme sert habilement à masquer la relative modestie des moyens mis en œuvre, tout en cherchant à rivaliser avec ses avatars occidentaux.
Pour autant, la qualité de la mise en scène, bien que surclassant la production locale, n’en masque pas moins les faiblesses du métrage ; dont le classicisme du scénario n’est pas la moindre des imperfections. Dans sa tentative de sortir des codes du film traditionnel horrifique asiatique à base de fantômes pour y intégrer ceux du slasher contemporain à tendance “Hostelienne”, les auteurs aboutissent à un produit de synthèse dont l’identité semble se diluer dans des ambitions aux alibis davantage commerciaux qu’artistiques (en témoigne le final classique se ménageant une grossière porte de sortie augurant des potentialités d’une suite). En effet, en fusionnant la rationalité occidentale du jeu de massacre méthodique au fantastique asiatique à travers l’alibi d’une pseudo secte cannibale à l’ésotérisme peu crédible, le film ne parvient finalement jamais pleinement à convaincre des motivations de ses auteurs. Dara, et sa soif d’immortalité instrumentalisant ses propres enfants pour s’accaparer de nouvelles victimes, finit par passer au second plan, devant le spectacle gore et spectaculaire du massacre brutal et systématique des membres de la fratrie venus se restaurer. On assiste alors à un patchwork auto-référentiel du genre, de Massacre à la tronçonneuse à La colline à des yeux, en passant par les récents efforts “franchouillards” d’À l’intérieur pour sa propension à martyriser la femme enceinte ; ou Frontières et sa famille de dégénérés, les références politiques en moins. Même le décor, dont un mur entier constitué de trophées de chasse à têtes de cervidés (animaux fort courant dans la forêt Indonésienne comme chacun sait !) tapissant la salle à manger, sert à gommer l’identité asiatique du métrage, que seule Dara à la diction monocorde supplée de son inquiétante et étrange beauté intemporelle.
Cette “polyculturalité” infusée au genre, que défendaient à leur manière les frères Pang d’une façon formelle dans The Eye, s’avère être un apparat aguicheur qui, sous couvert de rénovation, et malgré des qualités visuelles et une certaine liberté de mise en scène prise par l’œuvre au rythme plutôt soutenu pour une production asiatique, n’offre rien de véritablement original. Certes l’humour noir (parfois involontairement ridicule, dans le jeu poussif de certains acteurs) apporte un souffle bienvenu, décalé et grotesque, soulageant tantôt le spectateur de l’éprouvant carnage à tendance claustrophobe qui se déroule devant ses yeux. Aussi si les Mo Brothers ont assurément le sens du macabre, ils gagneraient pourtant à mieux structurer leur récit, tout autant que la motivation de leurs personnages, sous peine de voir prononcer leur oraison funèbre à l’aube d’une si jeune carrière.
Film diffusé dans le cadre de l’Étrange Festival 2009 (Première Française).
[1] Le général Suharto abandonne le pouvoir le 20 mai 1998 et laisse ainsi place à celui de la Reformasi. Après le régime de l’Ordre Nouveau (1965-1998), les libertés politiques sont rétablies et le système électoral progressivement réformé, afin de donner plus de pouvoir au Parlement et limiter l’influence des militaires.
[2] Mouvement fondé sur la base d’un manifeste signé par treize réalisateurs contemporains, et constituant une alliance libre souhaitant privilégier un cinéma indépendant et d’identité nationale, tout en restant accessible au grand public.
[3] Société de production créée par le prince de l’horreur “indie” Brian Yuzna, associé au producteur hollandais San Fu Maltha. Après l’aventure espagnole de la Fantastic Factory, Yuzna se tourne désormais vers l’Indonésie, territoire en mutation offrant moult opportunités malgré l’étroitesse de son marché intérieure.
[4] Lire l’article sur The Untold Story.
[5] Lire a ce sujet l’interview du réalisateur par Kizushi.