Les Hommes qui Marchent sur la Queue du Tigre
1945, Kurosawa invente le huis-clos tragi-comique en extérieur... tourné en studio !
Yoshitsune, ancien seigneur et fils du clan Minamoto, est recherché dans toute la région alors sous le joug de son frère, Yoritomo. Yoshitsune et ses généraux, emmenés par son plus fidèle vassal Benkei, vont tenter de s’évader en se faisant passer pour des prêtres collectant des souscriptions pour la construction d’un temple. Arrivé à Ataka, notre petit groupe se heurte au suspicieux capitaine Togashi, et chacun va devoir prouver qu’il est prêtre...
Quatrième film de l’un des grands maîtres du cinéma japonais, Tora no o wo Fumu Otokotachi est un projet né de l’abandon d’un autre... Peu de temps avant la fin de la guerre, AK écrit le scénario de Dokkoi Kono Yari (L’Epée Dégainée), film historique contant la bataille d’Okehazama, dont les deux rôles principaux doivent être confiés à Denjirô Ôkochi et Enoken (Kenichi Enomoto). Pour les besoins du film, AK et toute son équipe partent en repérage à Yamagata, lieu connu pour ses haras. Malheureusement, arrivé sur place, AK se rend compte qu’il n’y a pas un seul cheval capable de tenir debout... le projet est avorté. Le réalisateur, déçu, commence à déprimer. Quelques jours plus tard, de retour en ville, il propose à la Toho de réaliser l’adaptation de la fameuse pièce de Kabuki Kanjicho. Le studio, ravi de cette proposition - la Toho n’a que très peu de matière à produire à cette époque -, donne le feu vert à Kurosawa... mais il reste une chose ; AK et le studio s’étant engagés auprès d’Enoken, la Toho demande au metteur en scène de trouver un rôle pour le comédien... "(...) il fallait juste écrire un rôle de porteur pour Enomoto, et je m’engageais donc vis-à-vis du studio à revenir dans les deux-trois jours avec un scénario (...)".
Le tournage peut donc enfin commencer... mais AK n’est pas au bout de ses peines... Alors que le projet avance, le Japon perd la guerre, et se fait occuper par les américains. AK raconte que les conditions de travail devenaient parfois très difficiles ; "(...) de temps en temps, des soldats américains venaient faire un tour sur le plateau où je tournais. Un jour, ce fut un véritable débarquement qui se donna rendez-vous sur mon plateau ; peut-être les coutumes montrées dans mon film leur paraissaient-elles étranges, je ne sais mais ils n’arrêtaient pas de faire cliqueter leurs appareils photos ou bourdonner leurs caméras 8mm, et il y en avait même qui tenaient à se faire photographier, en train de recevoir un coup de sabre japonais. La discipline du tournage se relâchait tellement que je dus demander une interruption du tournage pour cette journée là (...)". En dehors des difficultés de production de son film, AK fut également victime de censeurs zélés totalement dénués de cerveaux, prétextant que Tora no o wo Fumu Otokotachi était "(...) une distorsion de l’une des grandes pièces classiques du Kabuki classique japonais (...)" [1] - ce qui rendit Kurosawa fou de rage -, repoussant ainsi la sortie de son film de 1945 à 1952( !)...
...dès les premières images du film, Kurosawa fait éclater tout son génie cinématographique ! Doté d’un don indéniable pour le 7ème Art, le jeune réalisateur âgé d’à peine trente-cinq ans embarque le spectateur dans un huis-clos historique, se situant quelque part entre le comique et la tragédie - le comique étant apporté au film par le personnage du porteur, crée de toute pièce par le maître pour l’acteur Enoken. Kurosawa mélange donc allègrement les genres, concevant ainsi un univers jamais vu dans le cinéma nippon...
Une mise en scène théâtrale... mais pas statique...
...l’adaptation d’une pièce de théâtre, qui plus est de Kabuki, n’est pas la chose la plus aisée qui soit... Seulement, AK n’est pas le premier venu, et son soucis du détail et de la perfection se font ressentir dès les premières minutes de Tora no o wo Fumu Otokotachi. Travellings sublimes (qui laissent percevoir la magnifique prouesse technique de Rashômon, cinq ans plus tard), mouvements de caméra réglés au millimètre, un montage d’une sophistication et d’un avant-gardisme rare, utilisation d’une grue pour des plans aériens de toute beauté... bref, une véritable explosion visuelle d’une grande richesse, alliant la forme au fond...
...avec Tora no o wo Fumu Otokotachi, AK se permet de remanier l’Histoire de son pays, transformant l’un des grands classiques du théâtre à sa guise ; le rôle de Benkei, héros parfait, se voit relégué au même niveau d’importance que le personnage du porteur... Quant au personnage de Togashi qui, dans la pièce, est sur le point de se rendre compte de la supercherie, il faisait - et fait toujours aujourd’hui - se poser la question à bon nombre d’érudits en la matière de savoir si effectivement il savait que Yoshitsune n’étais pas un prêtre, et mettait ainsi en exergue la loyauté dans le régime féodal... Kurosawa le transforme en un jeune homme brillant et cynique, qui se laisse "convaincre" tout en ayant l’air de savoir pertinemment qui il est...
C’est donc l’illustre comédien Enoken qui prête ses traits au fameux porteur, façonné en quelques jours par Kurosawa. Sa prestation est à ranger auprès des plus grands... dans l’art du burlesque ! Très apprécié par AK, Enoken insuffle au film humour et poésie... A ses côtés, dans le rôle de Benkei, c’est le non moins excellent Denjirô Ôkochi, que l’on a pu voir notamment dans Waga Seishun ni Kuinashi (Akira Kurosawa /1946) et Genji Monogatari (Kozaburo Yoshimura /1951), qui offre ici toute sa légendaire prestance. Quant au jeune Togashi, il est interprété par Susumu Fujita, acteur habitué d’AK, que l’on a pu voir entre autres dans Sugata Sanshiro (Akira Kurosawa /1943), Kakushi Toride no San Akunin (Akira Kurosawa /1958), en passant par Mosura tai Gojira (Inoshirô Honda /1964) et plus "récemment" dans Tantei Monogatari (Kichitaro Negishi /1983). Autour de nos personnages, autant de talents tels que l’immense Masayuki Mori (Rashômon, Hakuchi) et l’incommensurable Takashi Shimura (Ikiru, Gojira)...
...Tora no o wo Fumu Otokotachi, film maîtrisé, laisse augurer des prédispositions de Kurosawa et de ses oeuvres à venir. Condensé de talent de la part d’un réalisateur génialement doué, chaque plan, à la manière d’une toile de maître est doté d’une construction au millimètre... mais AK y prouve surtout sa virtuosité à mêler tragédie, Histoire et humour, dans un film qui malgré sa courte durée (58 minutes !), peut se promener avec fierté dans la cour des "grands" pour l’éternité...
DVD (Japon pas vu) | Toho | NTSC | Zone 2 | Format : 1:1:33 - 4/3
Suppléments : 23 minutes de making of, interviews, trailer...
Ce DVD contient uniquement des sous-titres japonais optionnels.
DVD (HK) | Mei Ah | NTSC | All Zone | Format : 1:1:33 - 4/3 | Images : Aïe ! Nous voici en présence du premier pressage authentifié par Steve Austin et Super Jaimie ! Je m’explique... la rémanence lors des déplacements des protagonistes est telle que... bah voilà, j’ai tout dit non ?! Ah pardon, un pressage a-bo-mi-na-ble !!! | Son : Mono... d’époque !
Suppléments : Un texte au choix en chinois ou anglais sur la carrière d’AK, et des sortes de résumés de quelques films sortis dans cette collection... merci Mei Ah !!!
Ce DVD comporte des sous-titres optionnels chinois, chinois simplifié et anglais.
Il existe également une VHS américaine (NTSC) sous-titrée en anglais, ainsi qu’un VCD hongkongais (Mei Ah) quant à lui uniquement sous-titré chinois ...
Bonus
Site Officiel de la Toho consacré à AK:
http://www.kurosawatoho-dvd.com
[1] Extraits tirés de Comme une Autobiographie, Akira Kurosawa, éd. Seuil - Cahiers du Cinéma, 1985.