Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2008

Funuke Show Some Love, You Losers !

aka Funuke domo, kanashimi no ai wo misero - 腑抜けども、悲しみの愛をみせろ | Japon | 2007 | Un film de Daihachi Yoshida | D’après une pièce de Yukiko Motoya | Avec Eriko Sato, Aimi Satsukawa, Hiromi Nagasaku, Masatoshi Nagase, Seiji Nozoe, Shoichiro Tanigawa, Nobumichi Tosa, Kôichi Ueda, Hiroshi Yamamoto, Ryotaro Yonemura, Nahoko Yoshimoto, Koichiro Yuzawa

Familles, je vous hais !

Quand on souhaite parler du Japon et plus largement décrypter ses codes sociaux, rien ne sert de généraliser, mieux vaut pointer sa loupe sur le microcosme de l’embryon familial, cellule clé et miroir d’une société au comportement et aux mentalités ultra codifiées. Le film “famille” est un peu une institution dans l’archipel, voir un genre à part entière. Depuis Le Goût du saké à Taste of Tea, il faudrait plus d’un ouvrage pour tous les rassembler.

Funuke Show Some Love, You Losers !, premier coup d’essai du réalisateur Daihachi Yoshida, s’inscrit donc dans cette veine des chroniques familiales, qui n’ont cessé au cours des temps de nous livrer des perles inoubliables. A la différence de ses contemporains, plus enclins à décrire la décomposition familiale au contact d’une urbanité de plus en plus déshumanisée, le cinéaste décide ici de poser ses bagages dans une petite région rurale du Japon, au sein de la famille Wago. D’apparence banale, la petite maisonnée à l’intérieur rustique mais chaleureux, abrite un fils aîné (Shinji) et sa femme (Machiko), sans oublier une sœur cadette introvertie, (Kyomi).

Jusque là le calme règne. Mais c’est sans compter sur le retour au bercail de Sumika, la soeur aînée, partie chercher la gloire dans la capitale, dans l’espoir improbable de devenir une actrice célèbre. A cours d’argent et alléchée par le maigre héritage laissé par des parents brutalement décédés, cette nouvelle occupante impromptue, sous ses airs de midinette, ne va pas manquer de perturber la quiétude familiale, ainsi que de faire ressurgir de douloureux secrets de famille.

L’annonce de la sélection cannoise du premier film d’un réalisateur jusqu’alors inconnu, concourant pour la Caméra d’Or, n’avait point manqué de piquer notre curiosité au vif. A y regarder de plus près, s’il s’agit bien du premier long-métrage du cinéaste, celui-ci est loin d’être un novice derrière une caméra, traînant derrière lui une réputation de golden boy du film publicitaire, exercice qu’il pratique depuis près de vingt ans, sans oublier plusieurs courts-métrages dont Otokonoko Wa Minnna Hikoki Ga Suki (2002) et Mitsuwa (2003).

Le passage par la publicité agissant pour certains, à l’image du pinku eiga pour d’autres, autant comme un tremplin que comme un complément alimentaire. Si une telle expérience peut parfois présager d’un style formaté, elle s’avère également source de créativité visuelle comme c’est le cas chez Tetsuya Nakashima (Kamikaze Girls, Memories of Matsuko), quand ce n’est pas de délires inventifs tout court, ce que ne contredira pas le dernier métrage de Katsuhito Ishi, Naisu no mori : The First Contact (2005).

Si chez Daihachi Yoshida on décèle un stylisme travaillé, il échappe pourtant à la gratuité du clinquant et au tape à l’œil, apportant un traitement inhabituel aux verdures champêtres de la petite campagne abritant le foyer des Wago, fait de saturations de couleurs tout en contrastes. Si le style manga s’invite également dans la partie, c’est avant tout pour répondre à la cohérence du récit, adaptation d’une pièce de la brillante Yukiko Motoya [1], celui des élucubrations de Kyomi qui se nourri de son quotidien, celui des brimades que lui inflige une sœur vacharde, vaniteuse, manipulatrice et égoïste, pour les coucher sur une feuille à dessin [2]. Car le récit de Funuke Show Some Love, You Losers !, s’il est principalement axé sur celui d’une rivalité entre deux sœurs aux caractères diamétralement opposés, est avant tout celui de l’émancipation d’un être renfermé (Kyomi), qui se construit malgré et grâce à son antithèse, sa sœur aînée Sumika.

D’un humour noir ravageur fleurant bon l’autodérision, Funuke Show Some Love, You Losers ! choisit avec intelligence de brosser un portrait autant caricatural que fin et tendre, de cette famille que les tragédies n’ont pas épargné. Film éminemment contemporain dans son portrait d’une jeunesse à double visage, celle de la superficialité d’une part, incarnée par la frivole Sumika et sa quête de célébrité facile, et de l’autre par Kyomi, représentant la culture otaku et sa tendance isolationniste.

A l’image des grands classiques du genre (Kazoku Gêmu, Crazy Family, Visitor Q), l’élément perturbateur qui va servir de révélateur des fêlures enfouies et des non-dits, est incarné paradoxalement par la superficialité et la puérilité, celle de Sumika. Parfois d’une réelle cruauté - la scène ou Sumika ébouillante littéralement sa sœur dans son bain -, le cinéaste révèle le mal-être de ses personnages qui, chacun à leur façon, tentent de surmonter leurs difficultés relationnelles. L’intelligence de l’auteur réside avant tout dans son utilisation contrapuntique de l’humour décalé face à la gravité des thèmes abordés, sans oublier une extravagance jubilatoire. Certes loin de l’hystérie d’un Crazy Family ou du trash version Visitor Q, il se dégage pourtant une excentricité généreuse dans ces personnages auxquels l’auteur voue une affection manifeste.

Entre la bonhomie joviale de Machiko, la belle-sœur confectionnant des poupées d’un mauvais goût affligeant, et la naïveté de Sumika entretenant une correspondance épistolaire avec un cinéaste en quête de sa muse, en passant par quelques personnages secondaires épicés, les ingrédients distillés par l’auteur concourent à faire de Funuke Show Some Love, You Losers ! une œuvre drôle, dure et sensible à la fois, tout en évitant l’écueil du sentimentalisme.

Originale, l’approche du cinéaste se révèle aussi dans la place qu’il accorde aux femmes, témoin d’une évolution sociétale au Japon même. Le seul homme de la famille, interprété par le nonchalant Masatoshi Nagase, est d’une passivité consternante face au drame familial, incapable de s’interposer entre la rivalité des deux sœurs. D’un autre côté, chacune des femmes de la famille Wago possède à sa manière un volontarisme manifeste, sans oublier une velléité créative entretenue par une pratique artistique (le manga, le cinéma, et la fabrication de peluches), témoignage d’une personnalité affirmée.

Mais si Funuke Show Some Love, You Losers ! dépasse la simple réussite scénaristique, soufflant un vent d’air frais sur le genre, c’est avant tout pour la justesse de jeu de ses acteurs. Si Eriko “Cutie Honey” Sato trouve un rôle à la mesure de sa mondanité capricieuse - il suffit pour s’en convaincre de revoir son apparition cannoise dans un kimono mini-jupe bariolé dévoilant ses longues jambes filiformes et affolant les journalistes -, la vraie révélation incontestable du film s’avère être Hiromi Nagasaku [3] dans le rôle de la belle-sœur, dont l’interprétation décalée est tout simplement désopilante.

Avec sa dérision douce-amère, et son apparente légèreté, Funuke Show Some Love, You Losers ! célèbre au final l’art comme thérapie, autant que l’être sur le paraître. Une magnifique leçon de vie, simple et grave à la fois, intelligente et d’un optimisme critique. On en redemande !

Funuke Show Some Love, You Losers ! a été diffusé au cours de la dixième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2008), en compétition officielle. Il est d’ores et déjà disponible en DVD japonais non sous-titré.

Site officiel du film (en japonais)

[1Jeune écrivain née en 1979, elle écrivit sa première pièce alors qu’elle était encore adolescente. Yukiko Motoya, initialement actrice, est la fondatrice d’une compagnie de théâtre éponyme. Elle est devenue en peu de temps la nouvelle coqueluche du théâtre contemporain, sorte de Yasmina Reza japonaise. Son regard satirique, son franc parler, ainsi que son apparence gracieuse faisant merveille auprès de la presse nippone.

[2Le manga apparaissant dans le métrage a été dessiné spécialement pour le film par le bien nommé Michiru Noroi (“Noroi” signifiant malédiction en japonais), spécialiste du manga d’horreur.

[3Ancienne teen idol de la télé et membre du trio de Jpop Ribbon qui fit ses débuts en 1989, cette actrice de dorama TV révèle depuis peu un talent insoupçonné. On a notamment pu la remarquer dans Su-ki-da (2005), Kûchû teien (2005) ou encore Kikyû kurabu, sonogo (2006) de Sion Sono.

- Article paru le mardi 1er avril 2008

signé Dimitri Ianni

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