Ambiguous
Un fabricant de sceaux qui ne parvient pas à trouver d’épouse, une femme battue par son mari qui lui refuse la maternité de leur fille, une étudiante qui se vend sans passion à des hommes murs, une actrice AV qui rêve de se se soumettre aux désirs d’un homme pour la vie, un serveur incapable de sourire et communiquer sans interface interposée... Cinq personnes plus ou moins anonymes, qui se voient refuser, pour des raisons diverses, une intégration heureuse dans la société. Sur internet, ils discutent, affirment leur renoncement, se livrent. Et se fixent, un jour, un point de rencontre pour franchir, ensemble, le pas du suicide, et mettre un terme à leur errance, sinon partagée, du moins similaire.
Le suicide, véritable malaise de la société japonaise, est un sujet que le cinéma ne redoute pas d’aborder de toutes les façons : de l’exploitation mesurée (The Suicide Manual) au film d’horreur grand public (The Suicide Song), en passant par le polar baroque [1] (Suicide Club), les cinéastes nippons n’y vont pas toujours par quatre chemins. Toshiya Ueno, avec son approche érotique, pourrait passer pour un opportuniste cynique, rapprochant la « petite mort » de l’acte sexuel d’un suicide symbolique, afin d’exposer ses généreuses actrices. Comme son titre anglophone l’indique toutefois, Ambiguous est plus complexe qu’il y paraît et, s’il est évidemment opportuniste – tout pinku l’est par nature – il est aussi intelligent, respectueux et, bien que simpliste, tout à fait pertinent.
Toshiya Ueno filme ses cinq protagonistes comme autant d’handicapés sociaux qui, à défaut de réussir à s’exprimer (la caricature de l’homme qui communique par SMS, même lorsqu’il est face à son interlocuteur), se tournent vers le sexe comme seule forme de dialogue direct. Au travers de tableaux entremêlés, le réalisateur nous montre comment, une par une, leurs individualités sont mises en échec, refusées, bafouées... l’acte sexuel permettant alors à chacun de tenter de retrouver ce qu’il recherche ou a déjà perdu, de la soumission (pour la jeune actrice AV) à la maternité pervertie (pour la femme battue). Hors champ, en silence, les protagonistes expriment leurs véritables sentiments, au travers d’un forum qui leur ouvre un lien social nouveau, indirect, absent du monde physique. Et qu’ils vont concrétiser pour s’affranchir de cette sphère, sans réalité émotionnelle autre que le plaisir de la chair.
Dans la rencontre se confrontent déceptions et aspirations, toujours au travers du dialogue physique. Parmi les cinq personnages, l’un manque à l’appel, tente encore de céder à la vie. Sa différence ? Contrairement aux autres, c’est un amour de la vie, non satisfait, qui l’en détache peu à peu, et non une aversion. C’est pour cette raison qu’elle sera finalement, la seule à s’en séparer. Les autres trouveront dans le contact de l’autre, une raison de continuer à craindre la mort, qu’ils partagent tout de même en entrelacs, tout autant que la vie. Et donc de puiser une force, explicitement hypocrite, de jouer le jeu du quotidien.
Ambiguous, dans son discours optimiste en demi-teinte, constitue à la fois un film érotique efficace pour qui saisira le contexte, propice à l’abandon physique, et une réflexion sociale sans véritable profondeur, mais tout de même juste. La réalisation de Ueno est sobre et efficace, et certains de ses cadrages, qui regroupent les cinq protagonistes dans la même pièce, sont d’authentiques compositions, à même de capturer l’essence du rapport à l’autre, mélange paradoxal d’intimité et de distance. Si les gémissements, complaintes haletantes d’autant de désillusions, remplissent le gros de la bande son, peu travaillée, ce sont toutefois les silences et les interrogations textuelles – similaires à celles qu’affectionne Takashi Miike – qui l’emportent. Une certaine cohérence finalement, avec le non-dit inhérent au cinéma érotique.
Ambiguous est disponible en DVD zone 2 UK (sous-titré anglais) chez Salvation. Copie épouvantable comme souvent chez l’éditeur ; espérons qu’ils feront mieux pour le Saint Francis d’Ezra Allen Gould (avec Dita von Teese), attendu pour la fin du mois.
[1] Copyright Kuro.