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Japon

Les Loups

aka The Wolves - Shussho Iwai - Prison Release Celebration | Japon | 1971 | Un film de Hideo Gosha | Avec Tatsuya Nakadai, Noboru Ando, Komaki Kurihara, Kyoko Enami, Tetsuro Tanba, Kunie Tanaka

Réalisateur injustement méconnu en occident, Hideo Gosha est souvent considéré comme simple disciple d’Akira Kurosawa dont il possède la flamboyance et une énergie similaire dans la mise en scène. S’étant essayé à des genres aussi variés que le film de yakusa (Les Loups), le drame historique et humain (Femmes dans un Enfer d’Huile et Portrait d’un Criminel), il est surtout connu pour ses Chambaras [1] dont la plupart sont devenus des classique du genres, notamment le crépusculaire Goyokin récemment réédité en DVD.

Avec Les Loups, réalisé deux ans après Goyokin, Gosha fait une incursion magistrale dans le film de yakusa et plus particulièrement dans le ninkyo-eiga (film chevaleresque).
Paradoxalement peu connu en occident, ce sous-genre est pourtant considéré au Japon comme la quintessence du film de yakusa. Alors que les années 60 signalent l’entrée du pays dans une période de prospérité, l’âme héroïque du yakusa se fond dans la culture populaire, décrivant l’aspiration des jeunes japonais en proie aux désirs individualistes et prisonniers de leurs obligations sociales. Le ninkyo-eiga décrit la figure du gangster asiatique moderne, où tous les règlements de comptes se font au sabre mais dont la toile de fond historique n’est plus le Japon féodal mais le début du 20ème siècle - soit l’ère Taishô et le début de l’ère Showa [2]. Le représentant le plus illustre du genre est l’acteur Takakura Ken (plus connu des occidentaux pour son apparition dans le film Yakusa de Sidney Pollack). Le genre a atteint son apogée à la fin des années 60, pour décliner ensuite et imploser sous la patte de l’iconoclaste Kinji Fukasaku balayant le code d’honneur du Yakusa avec la série des Combat sans code d’honneur et surtout Le cimetière de la morale en 1975, son oeuvre la plus radicale. Le thème central du genre est la mise à l’épreuve du Yakusa face aux tensions liées au respect de son code d’honneur ou Jingi. Ce terme est issu de la contraction des deux premières des cinq valeurs confucéennes (Jin désignant la charité et l’humanité et Gi les valeurs de la justice et de la droiture). Au début des années 70, le Jingi est mis à mal au cours d’une époque de changement des mentalités, privilégiant la recherche du pouvoir et des fruits issus du miracle économique japonais. C’est dans ce contexte que Gosha signe une de ces oeuvres les plus nihilistes, non dénuée de critique sociale et politique.

Cultivant volontiers une image de rebelle, il aborde pourtant le genre au travers d’un scénario à la trame des plus classique : un yakusa, libéré après avoir purgé une peine de prison, rejoint son clan pour se retrouver confronté aux changements intervenus en son absence au sein du gang familial.

On remarque rapidement que le réalisateur se démarque des cannons du genre pour y introduire une vision plus personnelle et originale du conflit classique autour de la trahison/loyauté. Tout d’abord, il inscrit son film dans une perspective historique, insérant volontiers des images documentaires d’actualités de l’époque. En 1928, 393 prisonniers et criminels sont relâchés suite à deux vagues d’amnisties accordés à l’occasion du couronnement du nouvel empereur Hirohito, dont le rôle dans la résurgence de l’esprit militariste du Japon d’avant-guerre est toujours controversé. A la suite de cette amnistie, Seiji Iwahashi membre du gang Enokiya (interprété ici par l’acteur fétiche de Gosha, Tatsuya Nakadai) condamné à 10 ans d’emprisonnement pour le meurtre du chef du clan Kannon, rejoint son clan pour s’apercevoir que celui-ci est en passe d’être absorbé sous l’impulsion de l’homme d’affaire Mr Asakura, qui dirige notamment la construction de la voie de chemin de fer traversant la Mandchourie [3].

Au cours d’une cérémonie de réconciliation entre les 2 clans ennemis, Iwahashi apprend la promesse de mariage entre Aya, fille du défunt chef Enokyia et promise à l’ami d’Iwahashi, Tsutomu, et le chef du clan Kannon. Fidèle et respectueux du code de l’honneur, il cède la direction du clan à Sakaki, son frère d’armes qui dirige en sous-main les manœuvres pour réunifier les différents clans, influencé par l’opportuniste et machiavélique Asakura. Torturé entre son devoir d’obéissance au clan et son amitié envers Tsutomu qui a mystérieusement disparu après sa sortie de prison, il opte pour la fidélité au clan et scelle l’engagement de mariage d’Aya.

Suite à la mort suspecte d’un de ses amis et fidèle lieutenant, et la révélation faite par Ozeki (joué par l’authentique yakusa devenu acteur, Noboru Ando) - son vis à vis du clan adverse et néanmoins loyal adversaire -, que son ami Tsutomu est toujours en vie et a été victime d’une tentative d’assassinat dont les tueurs venait du clan Kannon, Iwahashi réalisera peu à peu la vérité sur la mort de son chef et les évènement à l’origine des changements au sein de son clan.

Privilégiant le développement psychologique des personnages au détriment de l’action, le film - à la longueur inhabituelle pour le genre (135 minutes) - casse les conventions à plusieurs reprises. Le héros, taciturne et silencieux, privé de tout romantisme, n’est pas animé par un désir de vengeance et de pouvoir mais au contraire joue le rôle du négociateur diplomate, s’interposant pour régler les conflits sans verser le sang. Il y sera pourtant contraint mais n’en tirera aucune gloire ; bien au contraire ce sera un acte de désespoir nihiliste aboutissant à la négation de toutes les valeurs auxquelles il croyait.
Autre cliché du genre, la rencontre avec une ancienne tatoueuse de gangsters, suggère la scène d’amour habituelle. Mais Gosha la filme contre toute attente, loin du romantisme caricatural. C’est la femme en manque qui provoque l’homme, qui finit par céder à ses instincts, filmé en clair-obscur en utilisant les reflets d’une bougie et la transparence d’une source qui s’écoule pour suggérer le temps qui passe et transforme l’homme. Le lendemain, c’est l’homme qui se réveille seul et la transition vers un plan montrant un petit chiot errant sur le sable traduit à merveille le sentiment d’étrangeté au monde d’Iwahashi.

A l’opposé d’un Seijun Suzuki, Gosha filme la violence de façon réaliste sans effet de style. Il ne déroge qu’à la fin, au cours d’un final de toute beauté ou la théâtralité d’une lutte fratricide à l’accent de tragédie grecque est renforcée par la présence en arrière plan d’une mer agitée en pleine nuit, et l’unique son d’un Shamisen [4] utilisé à la manière des guitares d’Ennio Morricone dans les westerns de Sergio Leone. La proximité de deux réalisateurs est loin d’être fortuite et Gosha filme ici les face à face en utilisant les gros plans, comme le faisait Leone dans le western italien. Par moments, si l’on excepte les mélodies occidentales jazzy peu inspirées, l’utilisation de sonorité traditionnelles japonaises par Masaru Sato rappelle l’utilisation de la musique dans les westerns de Leone. L’esthétique sombre du film qui se déroule pour la plupart la nuit, ou dans des espace clos filmés en clair-obscur, doit beaucoup à l’éclairage magnifique de Kozo Okazaki qui donne toute sa dimension crépusculaire au film.

Les amoureux du genre seront peut-être surpris et la fin du film ne me contredira nullement ; néanmoins, Les Loups est avant tout une oeuvre personnelle et une occasion de découvrir un genre qui a su évoluer au gré des changements de notre époque, pour continuer à refléter la créativité du cinéma japonais de genre. Kitano et Miike en sont le plus parfait exemple.

Les Loups est disponible en DVD zone 2 UK, sous-titré en anglais.

[1Genre du film de sabre japonais situé à l’époque féodale.

[2Rappel de la chronologie du Japon (1871-1912 : ère Meiji, 1912-26 : ère Taishô, 1926-89 : ère Showa).

[3Les références politiques sont multiples et c’est par ailleurs l’implication des yakusa dans la construction de la ligne de chemin de fer en Mandchourie qui entraînera l’incident de Mandchourie en 1933, et entraînera par la suite l’implication du Japon dans la seconde guerre mondiale.

[4Instrument classique à corde japonais utilisé comme accompagnement dans le théâtre Kabuki.

- Article paru le lundi 10 mai 2004

signé Dimitri Ianni

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