Venus and Mars
Sang-min (Seol Kyeong-gu) et Ji-na (Kim Tae-hee) s’engueulent. Bruyamment. Dans un lieu public. Alors que le ton ne cesse de monter, les larmes et les reproches de s’épancher, tout laisse à croire que la séparation est imminente. Pourtant, désespéré, Sang-min sort une bague de sa poche et l’enfile au doigt de Ji-na. Comme nous, la foule, qui retenait son souffle devant un tel déballage d’intimités, explose en applaudissements.
Quelques années plus tard, les deux tourtereaux caractériels ont divorcé. S’ils se réjouissent d’une procédure déroulée en bonne et due forme, sans violence, quelque chose dérange Sang-min. Ce professeur de biologie, visiblement spécialisé en entomologie, amoureux des insectes au point d’en avoir un pour animal de compagnie, et de manifester pour la préservation de leur habitat naturel, est aussi un obsessif-compulsif de premier ordre. Le divorce prononcé, il a séparé tous les biens du couple en deux – jusqu’à la moindre photo – et c’est bien là le problème : son horloge fétiche est un peu pâle sans pendule. C’est en réclamant l’insolite possession à son ex-femme – qui, quand elle ne lui souffle pas dans les bronches, à la recherche d’excuses qu’elle n’obtient jamais, souffle du verre – que Sang-min fait des restes de leur relation un redoutable champ de bataille.
Il est certainement judicieux de vous mettre en garde : si vous n’avez pas d’enfants, et n’êtes donc pas habitué à une certaine quantité de décibels, la vision de Venus and Mars risque de vous paraître délicate. Seol Kyeong-gu et Kim Tae-hee passent le début du film à crier l’un sur l’autre, jusqu’à provoquer chez le spectateur une usure remarquable ; une stratégie comme une autre déployée pour Han Ji-seung, pour que nous ne soyons pas plus favorable à l’un qu’à l’autre. Dans notre position médiane et forts d’un bel acouphène, nous pouvons alors contempler cette surréaliste Guerre des Rose, dramaticomédie romantique qui s’autoproclame d’emblée « hard boiled », et dans laquelle insultes, coups fourrés et autres tentatives de meurtre remplacent mamours mielleux, phéromones et maladies terminales de rigueur. Si l’on ne devait retenir qu’une expression pour décrire ce Venus and Mars, ce serait donc certainement l’amour vache. Et le fait que le meilleur ami de Sang-min, doux psychopathe écolo, est amoureux de sa vache laitière au point d’être jaloux quand elle tombe enceinte (« c’est toi le père ? », lui demandera Sang-min alors que nous n’avions pas osé), n’y est finalement pas pour grand-chose.
Seol Kyeung-gu, pourtant habitué aux rôles intenses, est ici la moitié la plus calme du couple protagoniste. Ne soyez pas tentés pour autant d’en faire une victime : Sang-min, misanthrope forcené, semble en permanence lésé ou agacé par anticipation, et se terre dès lors dans un immobilisme minutieusement égocentrique et insensible. Face à lui forcément, Ji-na explose elle aussi de façon préemptive, délicieuse garce cocotte-minute qui a cumulé tant de passif, hors-champ, qu’elle ne se cherche même plus une raison, ou ne serait-ce qu’une excuse. Kim Tae-hee cabotine évidemment dans le rôle, qui ne demande que ça, mais elle parvient à osciller à merveille entre sévérité et fragilité, et parfaire l’extrémisme de cette relation, plus ou moins conjugale et très Looney Tunes.
La progression insensée de la violence des échanges entre Ji-na et Sang-min, de l’agression verbale à l’attaque motorisée, Mad Max style, porte bien entendu Venus and Mars. Pourtant, les personnages secondaires du film – l’ami des vaches, certes, mais aussi la crispante collègue de Ji-na, cauchemar de l’ensemble de leurs relations professionnelles -, plus mesurés, constituent un répit bienvenu, légèrement en marge de l’hystérie de l’escalade. Han Ji-seung évite ainsi de justesse l’excès, de haine – et donc d’amour –, de bruit et de fureur, pour affirmer le caractère étonnamment attachant de son film. Au bout du compte, comme on aime nos enfants en dépit de tout, décibels et autres, on ne peut s’empêcher d’aimer Ji-na et Sang-min, de chérir leurs extravagants désaccords.
Venus and Mars est disponible en DVD coréen, sous-titré anglais.