Turning Gate
La recherche du point de non-retour, et l’échec à l’atteindre, sont au cœur du nouveau film de Hong Sang-Soo, Turning Gate, sorti le 28 janvier sur les écrans français. Appliqué à la relation amoureuse, ce concept se matérialise en une errance sentimentale, des expériences plaisantes mais infructueuses, puis un moment de grâce, fugace, évanescent, que les réalités de la vie se chargent d’anéantir. Le point de non-retour n’aura pas été atteint...
A moins, bien sûr, que l’on ne considère que l’errance même du personnage principal, acteur en quête de rôle, ne soit en soi une manifestation en creux du non-retour sentimental, le moment où l’on s’investit complètement dans une relation. Lui au contraire ne semble pas rechercher la durée, et se condamne par là à l’échec renouvelé.
Il est le jeune homme de la légende, celui qui, amoureux d’une princesse, fut décapité par le roi et se réincarna en serpent. Enroulé autour du cou de la princesse, il est près de la tuer. La princesse se rend alors dans un temple, devant lequel elle demande au serpent de l’attendre pendant qu’elle va chercher à manger. Surpris par un orage avant que la princesse ne revienne ( ?!), il s’enfuit. La porte du temple est depuis lors appelée Turning Gate (souvent traduit par Porte Tournante, il me semble plus juste d’y voir la porte devant laquelle on se retourne, celle que l’on ne peut franchir).
De manière métaphorique, la légende est vécue par Gyung-Soo qui, rendant visite à l’un de ses amis écrivain, passe la nuit avec une jeune danseuse de ses admiratrices, Myung-Sook. Il ne sait pas qu’elle a une relation avec l’écrivain. Les relations se tendent entre les deux hommes et Gyung-Soo prend congé. Dans le train, il rencontre une jeune femme, qu’il suit jusqu’à son domicile. Il en tombe rapidement amoureux.
Bien sûr, c’est la deuxième partie du film et la rencontre de Gyung-Soo avec l’inconnue du train qui est la plus marquante, la plus vibrante. Mais le début du film, peinture de la vie sans relief d’un acteur sans rôle, sans amour, sans avenir pour tout dire, constitue un portrait à la fois poignant et cinglant, tant on ne parvient pas à plaindre le personnage. Le passage chez l’ami écrivain, la rencontre avec la danseuse, la nuit qu’ils passent ensemble nous le montrent encore comme peu sympathique, égocentrique, utilisant pour s’excuser des phrases toutes faites (notamment le "Même si c’est difficile d’être humain, essayons de ne pas devenir des monstres", phrase désenchantée qui scande les différentes étapes du film). La rencontre ferroviaire le transforme : de hautain, il devient craintif, agressé (par les parents de la jeune femme), acculé, ressentant sa solitude, en un mot, humain. Et c’est là que le précepte autrefois énoncé comme une banalité prend tout son sens : il est décidément très difficile d’être un humain, de vivre sur terre, et l’on doit tout faire pour ne pas agir en monstre vis-à-vis de nos congénères. Mais Gyung-Soo, comme le serpent de la légende, finira par se voir abandonné devant la porte, laissé à la merci d’un orage qui prend la forme des prédictions d’une voyante.
Hong Sang-Soo semble filmer en apesanteur, alors même que la qualité des plans laisse à penser qu’une longue préparation est à chaque fois nécessaire. De longs plans-séquences nous laissent le temps de nous plonger dans les atmosphères, de connaître les protagonistes, de pratiquement vivre les situations. La photo, sans être exceptionnelle, est de belle qualité, et en tout cas, est bien adaptée au sujet et le jeu des acteurs est convaincant. Rien à dire : c’est un beau film.
Turning Gate est sorti le 28 janvier sur les écrans français, et est depuis un certain temps disponible en DVD en Corée, sous-titré en anglais.

