The Drummer
« A cet instant, j’étais le fils de mon père. J’étais cet instant. Cet instant, c’est moi. »
Sid est le fils de Kwan, gangster au mauvais tempérament. Il faut dire aussi que le gosse sait y faire pour le mettre en colère ; c’est lors d’un concert où il officie en tant que batteur, qu’il jette son dévolu sur Carmen. S’il choisit la jeune femme, ce n’est pas simplement parce qu’elle est jolie, mais aussi parce qu’il s’agit de la compagne de Stephen Ma, lui aussi gangster - mais en costume. Bien entendu, le parrain découvre leur relation, et demande à Kwan de lui offrir les mains de son rejeton en guise d’excuse. Plutôt que de s’exécuter, Kwan bannit son fils à Taïwan sous la surveillance de Chiu, son bras droit. Sur place, Sid tente d’abord de s’enfuir pour rejoindre sa bien aimée illégitime, avant de se résoudre à ne rien faire de constructif en attendant d’être autorisé à rentrer à Hong Kong. Son manque d’ambition change brutalement le jour où il découvre que des batteurs zen s’entraînent dans le calme des montagnes. Lorsqu’il leur demande de l’accueillir, son choix est motivé aussi bien par un réel désir d’apprendre leur art, que par l’intérêt qu’il porte à la belle et revêche Hong Dou...
Troisième film de Kenneth Bi après A Small Miracle et Rice Rhapsody, The Drummer est un conte initiatique zen, ambitieux à bien des niveaux. Narratif tout d’abord, puisque le récit s’articule autour de deux mouvements opposés, l’avènement zen de Sid et la chute criminelle de son père. Visuel ensuite, puisque la production est irréprochable, la photo comme le son très travaillés. Au niveau du casting enfin, puisque le rôle principal est confié à Jaycee Chan, nul autre que le fils de Jackie, qui a marqué les mémoires en tant qu’endive de luxe dans Twins Effect 2 avant d’être promu acteur devant les caméras de Benny Chan (Invisible Target) et de Jiang Wen (The Sun Also Rises).
Si la narration de The Drummer peut paraître étrangement proportionnée – le prologue à Hong Kong, aboutissant au départ forcé de Sid pour Taïwan dure tout de même une vingtaine de minutes ; le pivot du film intervient tardivement ; l’apprentissage réel du tambour est laissé de côté – il apparaît en cours de route qu’elle reflète l’une des bases de l’enseignement du tambour zen : avant de redescendre, le bâton doit d’abord monter. Et il n’est pas nécessaire d’expliciter l’instant qui sépare les deux - pourtant lieu de la véritable maîtrise de l’art - puisque qu’il résonnera une fois le coup porté.
L’ascension, lieu d’enseignement inspiré, est constitué par la longue exposition du film, qui prend le temps de décrire les enjeux humains aussi bien dans l’action que dans l’observation. Ainsi par exemple, Kenneth Bi prend-il le temps de filmer l’expression, silencieuse et corporelle, de la nervosité de Kwan, terrain narratif plus riche que ses dialogues. L’apex elliptique (au cours duquel Sid devient un maître zen) est atteint tardivement, une fois le contexte pleinement exposé – celui de Sid et Kwan donc, mais aussi celui Hong Dou et même, plus discrètement, celui de Chiu, qui profite implicitement de ces vacances forcés tel un parent proche des exilés mis en scène par Kitano. C’est lorsque le mouvement descendant est amorcé – au moment, approprié, de la chute de Kwan à Hong Kong - que The Drummer exprime ses principales qualités cinématographiques. Le dialogue improbable qui réunit autant qu’il oppose Sid et son père, est un terrain imaginaire, véritable lieu de Cinéma rendu possible par la pertinence du montage. La mise en scène de Kenneth Bi, maitrisée mais sans éclat lors de l’ascension, ne faiblira plus jusqu’aux dernières images du film, culminant dans un spectacle de tambour qui fait éclater l’affirmation d’un Sid devenu Tao.
Cette affirmation est double, puisqu’il s’agit autant de celle du personnage que de celle de son interprète. Manquant cruellement de charisme au cours de la première moitié du film, Jaycee Chan se révèle étonnant dans sa seconde partie. Comme pour mieux souligner sa progression, le reste du cast à été choisi pour lui laisser le devant de la scène : dans la peau de Kwan, Tony Leung ressemble à s’y méprendre à la parodie de lui-même, et Angelica Lee - magnifique comme il se doit - pâtit d’un personnage de jeune femme agressive peu développé. En tant que bras droit mesuré enfin, Roy Cheung est exceptionnel, marchant sur les traces d’un Anthony Wong en s’affirmant capable d’une telle restreinte tranquille. On se souvient en le regardant, de la délicatesse de sieur Ebola aux côtés de la même Angelica Lee, en tant que prof de danse dans Princess-D...
Au final, The Drummer s’affirme comme un film passionnant, se basant sur une structure classique du film HK, sur des rôles redondants et autres parti-pris, pour mieux faire ressortir la singularité de sa démarche et ses nombreuses qualités. Sans être un chef-d’œuvre, cette troisième réalisation de Kenneth Bi possède suffisamment d’intensité et d’intelligence, pour redonner foi dans le cinéma contemporain non musclé de l’ex-colonie.
The Drummer est disponible en DVD et VCD HK, avec sous-titres anglais. Pour une fois, le VCD est au format, les sous-titres dans un anglais réel, et la qualité au rendez-vous.