Suneung
Lorsque Yujin, étudiant dans un lycée d’élite, est retrouvé assassiné dans les bois proches de l’établissement, les soupçons se portent naturellement sur June, l’un de ses camarades de classe, dont le téléphone, ayant servi à filmé les derniers instants de la victime, a été retrouvé sur place. Rapidement innocenté, June séquestre dans un couloir oublié du lycée, ancien bâtiment de la KCIA, plusieurs élèves de sa classe. Suneung – nom de l’examen d’entrée à l’université en Corée du Sud - s’en revient alors sur les évènements qui ont conduit à la mort de Yujin, dévoilant des mécanismes destructeurs de compétition, favorisant les élites en place dans la transmission de privilèges ségrégationnistes à leurs enfants. Un adolescent peut-il réellement être réduit à son classement scolaire, détestable rang d’un univers de compétition ?
Cette question, la réalisatrice Shin Su-won, ancienne enseignante reconvertie à la mise en scène qui signe ici son second long-métrage, la reformule au travers de la thèse de June, élève brillant et féru d’astronomie, révolté par l’exclusion de Pluton de notre système solaire, privée non seulement de son statut de planète mais aussi de son nom, reléguée planète naine et rebaptisée 134340. Il n’est pas étonnant que « Pluton » soit le titre original de Suneung : en rendant son identité à l’ex-neuvième planète, en réfutant la notion de distance au soleil comme critère de caractérisation, c’est le système de classement que June remet en question. Réduite, comme Pluton, à un numéro, la distance au premier élève ne dit rien d’une personne, ne la définit pas. Lorsque June remet en cause l’importance du système solaire dans l’univers, sa considération erronée comme y étant central, c’est la notion même de réussite scolaire qu’il interroge.
Il y a quelque chose de terrifiant dans le système de strates progressivement dévoilé par Shin Su-won : dans ce lycée d’élite, les dix meilleurs élèves profitent de cours et moyens supplémentaires, et le premier bénéfice d’une attention plus considérable encore. Comme dans une logique de cour, ces dignitaires ont droit à des chambres individuelles alors que les prétendants se contentent de dortoirs. Les premiers n’ont aucune contrainte alors que les autres ont un couvre feu, obligés de s’installer dans les couloirs de l’établissement pour pouvoir continuer à étudier passé 23 heures... Le système transforme un écart de compétences en fossé de privilèges, aide les meilleurs à devenir meilleurs encore, tandis que les « autres », tout au plus bons élèves, doivent s’en sortir par leurs propres moyens – qui plus est avec un handicap. Et même parmi les meilleurs, ceux dont les parents ont les moyens payer des cours particuliers à 700 euros de l’heure creusent encore l’écart. Aussi l’ascendant de ces élus sur le reste des élèves est-il considérable, une poignée d’adolescents pouvant décider de favoriser tel ou tel ambitieux en lui offrant quelques miettes de privilèges et savoirs, au nom d’une servitude détestable, bizutage monstrueux... Obtenir une place ne signifie-t-il pas toujours prendre la place de quelqu’un d’autre ? D’ailleurs, comment June a-t-il obtenu la sienne dans cet établissement ? Et que devra-t-il faire pour prendre sa place dans les dix premiers ?
Présenté hors-compétition au cours de la seizième édition du Festival du film asiatique de Deauville, Suneung participait d’une présence sud-coréenne particulièrement douloureuse, bien que de qualité, emplie d’abus, de violences, d’exclusion et de suicides... En dépit de son ambiance macabre, Suneung se pare néanmoins d’un surréalisme qui rend sa charge plus légère que celle de ces compatriotes. Isolés dans un établissement rendu glacial par les plongées de Shin Su-won, qui cloisonnent régulièrement l’espace, les protagonistes du film paraissent exister en marge de la société coréenne, hors du temps et de l’ordre des choses. Les forces de l’ordre elle-même semblent perdre toute autorité dans cette enceinte d’oppression (symboliquement tachée par un passé inquisiteur), priées de ne pas perturber le travail des étudiants. Une vie studieuse et rien d’autre – du moins pour le bas de l’échelle. Car on ne voit jamais les membres de l’élite réellement travailler, ou si peu, et encore moins apprendre ; simplement dispenser leur méprisantes leçons de supériorité.
Le système de compétition dénoncé par Suneung façonne des personnalités qui lui échappent. Et ce sont celles-là que Shin Su-won observe. Fascinante Mi-ra (Sun Joo-a) par exemple, que June contemple à la lunette tel un astre, et qui rayonne d’une beauté que la réalisatrice détruit peu à peu, grattant le vernis d’une méchanceté sans nom... Elle est tout l’opposé de la souriante Soo-jin (Kim Kkobbi - Breathless), élève « moyenne », seule dotée de recul, qui tente de s’opposer à l’intelligentsia des dix, et que la réalisatrice incarne en hackeuse. Version électronique d’une perception déjà terroriste de la lutte contre les élites, que Shin Su-won, cynique, confirme dans la démarche de June... S’il souffre de quelques longueurs, notamment dans son dénouement, étiré au-delà de la résolution des différentes intrigues mises en places (de culpabilités et motivations), et force un peu trop les traits, l’isolement et l’impunité de ses protagonistes pour que son extrapolation de l’élitisme évite la caricature, Suneung n’est reste pas moins un fascinant thriller dénonciateur.
Présenté hors-compétition au cours de la 16ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2014), Suneung sort sur les écrans français le mercredi 9 avril prochain.





