Ryuhei Kitamura
Lorsque Sancho apprend que le réalisateur nippon le plus hype de la planète vient à Paris pour y présenter son "hénaurme" Final Wars, relecture apocalyptico-burlesque du Kaijû Eiga, il ne lui en faut pas plus pour sauter sur l’occasion de poser une ou deux questions à l’homme aux lunettes de soleil vissées sur le nez...
Sancho : Avant toute chose, pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours, relativement en marge de celui emprunté par bon nombre de réalisateurs japonais ; vous quittez le Japon à dix-sept ans pour l’Australie, c’est bien ça ?...
Ryuhei Kitamura : Depuis que je suis tout petit j’aime le cinéma ; je voyais énormément de films, et à l’âge de dix-sept ans j’ai décidé que j’allais devenir réalisateur, et j’ai donc quitté le lycée avant d’avoir achevé mes études. Puisque j’aimais tout particulièrement le cinéma australien, j’ai décidé d’aller en Australie ; je suis resté dans une école de cinéma pendant deux ans là bas... Seulement, au bout d’une semaine, j’ai compris que ce n’était pas en allant à l’école que l’on devenait réalisateur, mais plutôt à travers l’apprentissage de la vie. Jusqu’à l’âge de vingt-quatre ans j’ai fait tout un tas de choses ; j’ai fait partie d’un groupe de rock, fait plein de petits boulots, lorqsque je me suis dit "bon ça y est, je vais m’y mettre : je vais faire un film !". A cette époque là, je n’ai pas ressenti le besoin d’être assistant réalisateur, ni même de passer par les différents "métiers du cinéma" ; j’ai décidé tout de suite de faire un film ; c’était un petit film de 300 000 Yens, réalisé avec des copains, tourné en vidéo : Down to Hell. Dès lors, je me suis occupé de faire la promotion de ce film, et c’est ainsi qu’est né un peu plus tard Versus...
En ce qui concerne Final Wars, savez-vous ce qui a motivé les pontes de la Toho à vous confier leur bébé ?...
A vrai dire il y a plusieurs raisons ; d’une part mon précédent film Azumi, avait été distribué par la Toho, et plutôt bien accueilli par le public, ce qui les a certainement convaincu ; d’autre part, le producteur, Tomiyama, qui s’occupait des Godzilla depuis une quinzaine d’années, était à cours d’idées, et je pense qu’il a fait appel à moi pour essayer de "révolutionner le Genre", comme si j’étais une sorte de nouvelle source d’inspiration. Mais je lui ai dit qu’il valait peut-être mieux pour lui qu’il renonce à cette idée... j’ai préféré le prévenir ! (sourire)
...pourquoi ?
Tout simplement parce que je ne suis pas ce que l’on peut appeler un réalisateur docile, qui va faire ce qu’on lui dit de faire ; je suis plutôt du genre à m’approprier le film, peu importe le style, ce qui ne met pas le producteur dans une position réellement confortable... Je pense que jusqu’à présent, les épisodes les plus récents de Godzilla ont été faits par des réalisateurs plutôt dociles, croulant sous les concessions. Avant d’accepter le projet, j’ai dit que je ferais un bon film, mais que je le ferais à ma façon... j’ai donc préféré les prévenir. (sourire)
Qu’avez-vous souhaité apporter à la "franchise" Godzilla, justement trop sage à votre goût ?
Il y a eu plusieurs choses ; dans les derniers Godzilla, les scènes à effets spéciaux et celles mettant en scène les humains sont tournées par des équipes et des réalisateurs différents : je trouve que cela donne l’impression de regarder deux films. Tout ceci sans compter que les êtres humains y passent leur temps à se lamenter sans vraiment chercher à affronter Godzilla, donnant une réelle impression d’inactivité. J’ai voulu qu’ils soient beaucoup plus combatifs dans leur attitude... Par ailleurs, les films précédents étaient trop "éclairés" ; j’ai quant à moi voulu y mettre de l’ombre, et montrer ainsi un autre aspect. Au niveau des mouvements de Godzilla, j’ai voulu qu’ils soient plus proche de ceux d’un animal sauvage, que Godzilla soit plus rapide, plus terrifiant... Nous avons donc modifié son costume pour permettre tous ces changements.
Etes-vous conscient d’avoir "cassé" quelque chose, d’avoir brisé la matrice du Kaijû Eiga pour le recréer de toute pièce ?... d’ailleurs, comment le public japonais a-t-il reçu ce vingt-huitième épisode ?
D’abord, y a-t-il véritablement une "tradition" Godzilla ? Je pense que personne ne peut répondre à ça. Pour moi, la plus grande époque de Godzilla, son apogée, se situe pendant les années 70 ; c’est à cette époque là qu’il avait le plus de succès. Ce que j’ai aimé dans ces films était qu’ils semblaient mués par la passion et l’énergie... Puis, dans les années 80, cet engouement est retombé. Dans les années 70, chaque film était différent, et aucune règle ne semblait alors être en vigueur... On ne peut pas dire qui a dicté ces "règles". Je pense que si à partir des années 80 les films sont devenus ennuyeux, c’est parce que les réalisateurs étaient justement des amoureux de Godzilla, qui ne prenaient aucun recul.
Je suis donc parti du principe qu’il n’y avait pas de tradition. J’avais envie de faire quelque chose de différent. Nous avons pensé faire une confrontation entre Godzilla et les forces d’autodéfense japonaises, mais ça ne m’intéressait pas, car selon moi il n’y avait aucune réalité derrière tout ça ; les forces d’autodéfense ne sont pas capables d’affronter Godzilla. (sourire)
Je suis conscient que j’ai fait un film très "différent"... En ce qui concerne l’opinion du public nippon, c’était donc plutôt partagé, et s’il n’a pas fait l’unanimité il a en tous cas reçu le soutien d’une majorité de gens.
Avez-vous le sentiment d’appartenir au New Mainstream Nippon, comme par exemple Yukihiko Tsutsumi ; en gros, avez-vous conscience d’utiliser le système à des fins personnelles tout en étant en marge de celui-ci ?
...je pense que je suis un réalisateur vraiment différent des autres, de par la manière dont je suis arrivé au cinéma, ou par ma position actuelle. Tsutsumi lui, vient de la télévision... quant au V-cinema, c’est un moyen plutôt classique pour devenir réalisateur ; moi, j’ai décidé un jour, comme ça, de faire des films indépendants et j’en suis venu au mainstream, tout en restant un outsider. J’ai aujourd’hui très peu de contact avec l’industrie du cinéma japonais, et je ne compte pas en avoir. Je veux garder précieusement ma position d’outsider.
Ne pensez-vous pas justement qu’en faisant appel à des réalisateurs "outsiders", le cinema mainstream japonais évolue de manière intéressante ?
Vous croyez ? (rires)
Oui.
(rires) Je ne sais pas... Je n’analyse pas ce que je fais ! (rires)
Interview réalisée le 30 Juin 2005 à l’hôtel François Ier (Paris), dans le cadre de la présentation en avant-première du film Godzilla Final Wars lors de la troisième édition du festival Paris Cinéma.
Sancho tient à remercier Philippe Lux et Michel Burnstein, sans qui cette interview n’aurait pas vu le jour, sans compter un immense merci à Valérie Dhiver pour sa gentillesse et son excellente traduction.


