Mongol
Alexandre Le Grand, Jules César, Ramsès, même Georges W… Tous les conquérants célèbres ont eu droit à leur fresque épique. Manquait l’un des plus illustres, fondateur du plus grand empire contigu de tous les temps, originaire malheureusement pour lui d’une région sans pétrole et donc largement oubliée depuis : Gengis Khan. Le fameux guerrier mongol, dont par ailleurs on sait bien peu de choses, reste dans l’imagination des peuples un mythe tantôt cruel et tantôt magnifique. Il aura fallu une équipe cosmopolite (réalisateur russe, acteurs mongols et chinois, capitaux kazakhs, etc.), principalement issue des pays mêmes que Gengis Khan a sauvagement conquis, pour lui rendre une justice étonnamment complaisante.
Temüjin, fils d’un chef de clan mongol – un khan –, voit son père assassiné par le clan voisin. En tant qu’héritier naturel, il devient la cible d’une chasse à l’homme qui ne s’arrêtera qu’une fois retrouvé son rang. D’épreuves en épreuves, démontrant génie politique et militaire, il deviendra khan : Gengis Khan.
Le vrai tour de force du film est en premier lieu de réussir à faire tenir les trente cinq premières années du Khan en à peu près deux heures. En effet, si les historiens connaissent en réalité peu de choses sur cette période, fables et légendes sont légions sur la vie de Temüjin. Pour réussir son pari, Bodrov use d’artifices narratifs qui pourront se révéler rédhibitoires pour certains, mais dont l’habileté m’a séduit. Dès les premières images, il fait de Gengis Khan son narrateur. Impossible alors de lui reprocher ellipses osées et trous béants (plusieurs années) qui parsèment le film et concluent même parfois des séquences d’action de manière totalement incongrue. Si, comme le dit la citation, l’Histoire est écrite par les vainqueurs – et l’on parle ici du plus grand de tous – il est tout à fait acceptable d’imaginer que Temüjin lui-même ne souhaite pas rentrer dans le détail de certains faits d’arme, parce que peu glorieux ou tout simplement pour alimenter mystère et légende. Si l’on choisit d’ignorer volontairement le « truc » et de ne pas crier au scandale, on comblera les trous par l’imagination. Si rien n’est historiquement certain, pourquoi ne pas laisser chacun se faire son film ? Beau joueur, Bodrov assiste son spectateur en lui fournissant un fil conducteur, permettant à la narration de ne pas caler sur le premier raccourci de montage venu. C’est le personnage de Börte (la femme de Gengis Khan) et leur puissante histoire d’amour qui vont s’inscrire en filigrane tout au long du film pour donner points de repère et souffle au scénario, parfois un peu répétitif dans sa progression.
Si Bodrov prend donc un grand nombre de libertés avec son sujet – parfois jusqu’à l’oubli-, il ne transige pas avec le mode de vie, la religion et les coutumes des mongols. L’identité mongole est un thème cher à Gengis Khan, et son principal élément de motivation. En raison du parti pris narratif du réalisateur russe, la culture mongole est montrée ici avec égards et réalisme. Chamanisme, mariage, tradition culinaire, place particulière des chevaux témoignent ici de l’aspiration d’un peuple à une vraie singularité, une vraie liberté par rapport au royaume chinois voisin. Le titre du film est de ce point de vue parfaitement révélateur. On ne raconte pas vraiment la genèse de Gengis Khan, mais bien celle du peuple mongol, totalement divisé au début du film et réuni par la force ou la stratégie vers la fin. La plupart des mongols considèrent encore le Khan comme le père de la nation, et le film abonde en ce sens, qui fonde la rancœur et la violence de Temüjin sur la rivalité des clans, et ancre son objectif de réunification dans une expérience personnelle.
Tourné en langue mongole et principalement sur place (Mongolie et Mongolie intérieure chinoise) malgré une équipe de production étrangère et disparate, le film trouve sa légitimité dans de somptueux panoramas alternant les steppes verdoyantes, l’aride désert de Gobi et les sommets enneigés. Gardant les effets spéciaux à leur strict minimum (les scènes de batailles, plutôt impressionnantes), les paysages mongols sont la vraie star du film. S’il aurait pu être difficile d’exister devant de tels arrière-plans, le casting s’en sort plutôt bien. Tadanobu Asano propose un jeu et un visage plutôt fermés qui collent bien au personnage, tout en rage intérieure, au point qu’il semble parfois habité (magnifiques gros-plans de la prison chinoise). Khulan Chuluun est une magnifique Börte qui, bien qu’en retrait du Khan, impose un physique et une volonté impressionnants. Seule la prestation d’Honglei Sun (le frère de sang de Temüjin) aurait pu bénéficier de plus de retenue et moins de cabotinage. La mise en scène, quant à elle, se fait agréablement discrète et le cadrage propre, sauf dans certaines scènes d’action à la lisibilité confuse.
La principale originalité de la réalisation, au-delà d’un ancrage fort dans les paysages et les racines mongoles (jusqu’aux chants mystiques qui font une enivrante bande-son), restera ce parti pris narratif permettant toutes les folies de montage au détriment d’une certaine continuité. On aura, ou pas, plaisir à combler par la déduction et l’imagination l’ellipse probablement la plus « impardonnable » de cette plaisante fresque historique : comment Temüjin est-il devenu un si puissant chef de guerre, le redoutable Gengis Khan ?
Sorti sur nos écrans le 9 avril 2008, Mongol est notamment disponible dans l’hexagone en DVD (édition simple ou collector) et Blu-ray, chez Metropolitan Filmexport.