Le Murmure de la pivoine
Cela fait un long moment que je veux l’écrire, cet article, mais une chose m’arrête : le fait que certains lecteurs puissent mettre en doute mon objectivité. Car oui, Vincent Guilbert, réalisateur du Murmure de la pivoine, enfin présenté en France ce mois de juin 2018 dans le cadre du Festival du Film de Fesses, est un ami, le réalisateur des clips de mon groupe, et même plus : l’une des plumes fondatrices de Sancho. Cela fait un moment – des années - qu’il a quitté nos pages, mais qu’importe : le lien entre nous est resté aussi fort, et Vincent s’est employé depuis à faire des images plutôt qu’à parler des images des autres. Et ce regard si particulier qu’il portait sur le travail de ses réalisateurs fétiches, hésitant toujours à le traduire en mots, il a choisi de le mettre au service d’humanités créatrices – d’art, de sons, d’émotions. De ne plus en parler, mais de les regarder, et de les donner à voir.
Le travail de Vincent est celui d’un amoureux de la vie, la vraie, celle qui se niche dans ce que l’on est et qui transparaît dans ce que l’on fait, se lit dans le regard, les attitudes, la sueur, les mains, les larmes, le silence. Un cinéma d’observation intégralement empathique, qui n’est donc pas distant – au contraire – puisqu’entièrement dévoué à faire ressentir des êtres et des émotions sans jamais les expliciter, les faire naître à l’écran sans les mettre en scène. Un sculpteur de marionnettes dans Ch’l’eintailleu, Jean-Louis Costes dans Jolie Chanson (présenté l’an passé à L’Etrange Festival), le musicien new-yorkais Loren Connors dans Gestures, les vides et répliques de Fukushima dans Brutalement, le silence... et enfin, Akira Naka et les liens qu’il tisse, littéralement, avec les femmes qu’il laisse émotionnellement exsangues dans Le Mumure de la pivoine...
Dans son cinéma, Vincent ne situe jamais, pas plus qu’il ne rappelle : il ne s’agit jamais pour lui de traiter un sujet, d’introduire, structurer ou tenir un discours, de rechercher une exhaustivité, mais de donner à percevoir une humanité, à un instant donné qui réussit toujours, sans forcément les montrer, à porter implicitement en lui tous ceux qui l’ont précédé. Se faisant, Vincent peut s’offrir le luxe de parler de sexualité sans la montrer, de dévoiler un artiste sans expliciter son parcours, son objectif ou ses créations. Il installe une véritable proximité du regard, celle qui cherche à capter plutôt qu’à orienter, et crée ainsi une force cinématographique respectueuse, aussi rare que précieuse : l’intimité.
Le Murmure de la pivoine, qui s’intéresse à Akira Naka, grand maître du kinbaku, dépasse complètement la représentation fétichiste, pour donner à comprendre non pas son art, mais la façon dont celui-ci reflète l’homme qui le pratique, et le relie aux femmes qui s’offrent, toutes entières, à ses cordes. L’intimité qu’il évoque le rattache au film de fesses, certes, mais l’en distancie aussi par son honnêteté, qui n’est pas tant celle de la chair, que celle de l’âme, dévoilée dans cette attention, cette générosité si particulière, pour l’un, les larmes ambivalentes et une certaine béatitude pour les autres. Dans l’intelligence de son tissage narratif, de récits, attentions et temporalités mêlées, dans ses mots et ses silences, entre compréhension posée, acceptation de soi (ce qui n’est pas rien dans les arts limitrophes) et intensité de l’acte, au bord de la vie et dans un abandon qui traduit la plus extrême des confiances, Le Murmure de la pivoine induit le portrait d’Akira Naka, et contient toute l’intelligence, remarquable, du cinéma de Vincent Guilbert.
Le Murmure de la pivoine sera diffusé dans le cadre du Festival du Film de Fesses – Montre tes nippons - le samedi 30 juin prochain à 22h20, au Reflet Médicis à Paris.
Remerciements à Vincent !
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