Headshot
Tul, tueur à gages, se prend une balle dans la tête alors que, déguisé en moine bouddhiste, il exécute un contrat. Lorsqu’il sort du coma, quelques mois plus tard, son monde a littéralement été mis sens dessus dessous, puisqu’il voit désormais tout à l’envers. Alors qu’il peine à reprendre son activité exécutrice, Headshot nous offre à comprendre la trajectoire de cet ancien flic trop intègre, brisé par un système corrompu et manipulateur, reconverti en assassin tout aussi idéaliste et désormais en quête d’une rédemption que son karma, terni, lui refuse sans cesse.
On pouvait craindre à l’annonce de Headshot et de son singulier point de départ, que cette adaptation d’un roman de Win Lyovarin soit un déballage stylistique éreintant, apte à laisse le spectateur, tête en bas, complètement exsangue. On comprend cependant rapidement, face à la trajectoire chronologiquement éclatée de Tul, que cette inversion de repères n’est en rien un prétexte pour Pen-ek Ratanaruang, pas plus qu’un gimmick, mais une simple métaphore atypique d’une évolution du regard porté sur le monde, qui lui permet d’aborder avec une certaine sérénité le destin, volonté qui nous dépasse et qu’il se plaît tant à traiter, moteur de bon nombre des collisions de ses films.
Headshot, si l’on excepte son morcellement narratif, qui a pour but de mettre en place la récurrence de situations dans le cycle des causes et conséquences des actes de son protagoniste, au cours de ses « vies » successives, est en réalité un film étonnamment simple, substrat fascinant du cinéma de Ratanaruang. Le réalisateur regarde l’intégrité de son personnage s’incarner dans le policier, l’assassin, le reclus, dénuée de sagesse tout d’abord puis transfigurée par sa perception nouvelle. Pas étonnant que le karma mène ainsi Tul par le bout du nez, le forçant à revoir sa position dans l’ordre des choses : lui-même s’investit, en tant qu’assassin, d’une autorité qui ne lui revient pas, et daigne pour ce faire emprunter l’apparence de la sagesse objective.
A chaque fois que Pen-ek Ratanaruang pare Tul (excellent et polymorphe Nopachai Jayanama) de l’habit du moine dans Headshot, le rapport de celui-ci à l’homme et ses faiblesses a évolué – soumis et manipulé, en opposition, en détachement -, permettant au film de préciser son objectif et d’affiner son identité, de faire de sa nonchalance apparente, peu décisionnaire, une force de caractère de plus en plus évidente. Et alors que Headshot paraissait à l’origine manquer de carrure, un tantinet simplet comme son protagoniste, il se révèle être d’une richesse étonnante, sa sagesse, narrative et cinématographique, l’incarnation d’une véritable maîtrise de cinéma.
Cette dernière s’exprime tout de même, au long du film, de manière plus explicite, comme lors de ses gunfights privés de lumière, l’obscurité donnant à Tul un avantage presque surnaturel sous l’éclairage remarquable de Chankit Chamnivikaipong. On retrouve par ailleurs un Pen-ek familier, dans des seconds rôles décalés comme ce mafieux en shorts de tennis, autant que dans la variété des tons abordés, du sordide à l’humour, de la violence sadique à la contemplation bienveillante.
Peut-être peut-on reprocher au film de se faire si peu ostentatoire, de taire ainsi ses qualités, de se dissimuler dans l’obscurité. Mais ne serait-ce pas comme reprocher à un sage la modération de ses propos, le refus modeste de son auto-appréciation ? Alors que l’on se rapproche, peut-être, de la fin de la carrière de Pen-ek Ratanaruang en tant que réalisateur (celui-ci nous confiait un temps n’avoir que neuf films en lui), Headshot incarne une somme paradoxale de son cinéma, à la fois supérieure (formellement et sur le fond) et inférieure (dans sa retenue envers le public) à ses parties. Une œuvre, bien que distante, d’une étonnante maturité.
Headshota été diffusé au cours de la 14ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2012), hors-compétition, et sortira sur les écrans français le 31 octobre 2012.






