Failan
Failan débute par un court pré-générique en noir et blanc. Le service d’immigration d’un aéroport, plutôt calme. Une femme se présente à l’un des guichets, tend son passeport d’un air timide au douanier. Celui-ci regarde les papiers de la jeune chinoise, Failan, et tamponne son passeport pour la laisser entrer en Corée.
Un an plus tard. Lee Kang-Jae sort de prison après une courte peine de dix jours, écopée pour avoir vendu des cassettes pornographiques à des mineurs. Sa réputation de gangster entachée, il tente de renouer avec une autorité pourtant récente mais n’y parvient pas. Son Boss et autrefois ami, Yong-Shik, a même donné les rênes de sa boutique de location de cassettes à l’un de ses sous-fifres. Kang-Jae s’acharne toutefois, délaissant son amour propre pour renouer avec la confiance de ses semblables, refusant de devenir un simple rabatteur pour le gang.
Un soir, alors que Kang-Jae et Yong-Shik sont tous deux passablement ivres, Yong-Shik bat le Boss d’un gang adverse jusqu’à la mort. Le lendemain, il demande au mafieux déchu de porter le chapeau du meurtre à sa place, en échange de quoi il lui paiera le bateau dont Kang-Jae a toujours rêvé pour retourner vivre dans son village natal. Reniant définitivement sa vie, Kang-Jae accepte. C’est à ce moment là que la police vient frapper à sa porte pour lui annoncer le décès de sa femme, Failan...
Failan qui, arrivée un an plus tôt en Corée après le décès de sa mère, devait retrouver sa tante. Malheureusement celle-ci vient d’émigrer aux Etats-Unis sans la prévenir, aussi la jeune femme se retrouve-t-elle dans un cul de sac, seule. Désireuse de trouver du travail, elle se rend dans une agence pour l’emploi nommée "Espoir", dirigée par le gang de Yong-Shik. Pour obtenir un visa de travail, il faut que Failan se marie. C’est Kang-Jae qui se porte volontaire contre une somme d’argent salvatrice, refusant de rencontrer son épouse "légale". Un homme du gang amène Failan dans une ville reculée, où elle aurait dû travailler comme entraîneuse ; seulement Failan est atteinte de tuberculose, et personne ne veut d’une femme qui tousse du sang. C’est ainsi que la jeune mariée se retrouve employée dans une blanchisserie au milieu de nulle part, avec pour seule attache une photo de son "bienfaiteur"...
Entre l’arrivée de Failan (Cecilia Cheung) à l’aéroport au début du film et l’annonce de sa mort au personnage de Kang-Jae (Choi Min-Sik), il se déroule près de la moitié du film sans que la jeune femme qui lui donne son titre ne soit présente, ni même mentionnée. Pendant cette première partie en effet, Song Hae-Song nous dépeint la chute de Kang-Jae, mafieux minable et homme détestable, sans honneur ni valeur, qui fonce droit vers une mort - ou du moins une non-vie - aussi pathétique qu’acceptée. Au cours de cette première trame - abordée comme un film de gangsters à part entière -, de nombreux indices sont pourtant présents, dont la symbolique ne sera accessible qu’à posteriori, lorsque l’on reviendra un an en arrière pour suivre le périple de la jeune défunte. Comme cette enseigne d’une agence pour l’emploi qui s’écroule alors que le bâtiment qui l’abrite s’apprête à être démoli, un "Espoir" qui s’évanouit. Lorsque l’on arrive au tournant narratif de Failan en effet, Kang-Jae a perdu non seulement l’espoir mais toute volonté de vivre, d’assumer son identité. Ce personnage qui ne cesse de parler, essayant sans cesse d’amadouer ou de dominer son prochain, se retrouve sans voix deux fois de suite : la première lorsqu’on lui annonce le décès de sa "femme", la seconde lorsqu’il accepte de regarder une photo de Failan - et admet par la même son existence, même si celle-ci est désormais terminée.
C’est d’ailleurs ce paradoxe qui est au coeur de la structure narrative de Failan, qui nous expose a posteriori les solitudes parallèles de deux être perdus. Kang-Jae ne s’intéresse aucunement à Failan alors que celle-ci s’accroche à son image pour aller de l’avant. Cet amour aveugle pour une image, un sourire qui symbolise ce que Kang-Jae aurait pu être, parvient à notre héros déchu par le biais d’une lettre que sa femme n’a jamais osé lui poster. "Ici tout le monde est gentil avec moi. Mais c’est vous le plus gentil de tous". Kang-Jae, gentil ? Lui-même ne comprend pas, refuse d’admettre cette éventualité. Pourtant, au fur et à mesure qu’il se rapproche de Failan, au cours d’une succession de démarches administratives post-mortem quasi-anonymes, Kang-Jae trouve une raison de vivre en cette existence qui semble oubliée de tous pour toujours. S’il refuse toujours d’admettre sa propre vie, il se bat pour que celle de Failan soit reconnue, qu’il en reste une trace - l’humanité qui lui revient. Comme elle avec sa photo, Kang-Jae s’accroche à cette image qu’il se fait de la jeune femme, qui lui renvoie cette vie à laquelle il a renoncé.
Failan est un film triste, tellement triste qu’il en devient éprouvant. Si une lueur d’espoir se dessine progressivement, péniblement, dans les yeux de Kang-Jae, celle-ci est condamnée d’avance, rendant sa rédemption plus lourde encore. La structure narrative de Failan, qui reprend certainement celle du roman dont le film est adapté, est parfaitement appropriée à cette rédemption/condamnation magnifique, qui apaise notre douleur autant qu’elle la multiplie par anticipation.
La réalisation de Song Hae-Seong est superbe, limpide, jouant de tous les cadrages que le cinéma a développé au cours de son histoire pour rendre les émotions changeantes de Kang-Jae, la résignation silencieuse de Failan. Choi Min-Sik est une fois de plus époustouflant, tour à tour repoussant, touchant et drôle, tandis que Cecilia Cheung se révèle être une actrice subtile, capable de donner vie à toute la pureté de son personnage. Chacun incarne une extrémité du spectre humain - l’un auto-destructeur par manque de courage, l’autre combatif en dépit d’une mort certaine. Les deux personnages ne se croisent que deux fois, en parallèle, au cours de Failan. Pourtant ils forment certainement l’un des plus beaux couples que le cinéma nous ait offert ces dernières années. Un couple évoqué, rêvé par Failan et regretté à contre-coup par Kang-Jae, dont le caractère impossible crée un manque durable et bouleversant chez le spectateur.
Failan est disponible en double DVD coréen, mais aussi en VCD et DVD HK.
Et surtout, il est présent sur quelques écrans français... alors tentez de lui faire honneur !