Avalon
Vous en avez rêvé (nous aussi), Mamoru Oshii l’a fait... et Sancho l’a vu !
Une bande-annonce qui traînait sur Internet depuis de longs, longs mois déjà, des images incroyables accompagnées d’une partition de Kenji Kawai... tous les espoirs étaient permis au sujet d’Avalon, projet mystérieux de l’un des génies de l’animation japonaise moderne.
Tourné en majorité en Pologne avec un casting exclusivement polonais, annonçant des effets de synthèse révolutionnaires, Avalon a gardé son mystère jusqu’au dernier moment, à tel point que l’attente d’une éventuelle projection nous devenait proprement insupportable. Les jours passent, l’attente est facilitée par la sortie de films tels que Dead or Alive 2, The City of Lost Souls, Battle Royale, Time & Tide et j’en passe, mais Avalon ne semble pas se rapprocher...
Et puis ça y est, le grand jour est arrivé, et j’ai mon Memorial Box entre les mains. Packaging somptueux (même si on est encore loin du Blood Complete Box), le film sous-titré en anglais accompagné d’un disque de suppléments et d’un livret de pré-production contenant l’intégralité du storyboard du film... tout ceci est magnifique mais ne m’intéresse pas - pas pour le moment en tout cas. Je fais chauffer le caisson de basse, le tiroir de ma platine DVD s’ouvre, plus impatient encore que moi, et accueille le disque sérigraphié. Le rêve s’apprête à devenir réalité...
"Le futur proche. Certains jeunes gens fuient leurs désillusions en allant à la recherche de leurs propres illusions, au sein d’un jeu de guerre en réalité virtuelle.
"Les frissons et les morts simulés que le jeu procure sont compulsives et provoquent un effet de dépendance. Certains joueurs, qui travaillent en équipes appelées parties, gagnent même leur vie grâce au jeu.
"Le jeu n’est pas sans dangers. Parfois, il peut laisser un joueur en état végétatif, condamné à des soins médicaux constants. De telles victimes sont appelées Un-returned ("non-revenues").
"Le jeu tire son nom de l’île légendaire où les âmes des héros décédés trouvent le repos : Avalon."
C’est par ce texte que commence le quatrième film live de Mamoru Oshii. Les trois premiers - Jigoku No Banken : Akai Megane, Jigoku No Banken : Kerubersu (Red Spectacles et Stray Dogs, datant respectivement de 1987 et 1991) et Talking Head (1992) - demeurent encore inédits en occident, en dépit du succès des œuvres d’animation de l’auteur/réalisateur : L’œuf de l’ange (Tenshi No Tamago, 1982), Patlabor 1 et 2 (1990 et 1993), Ghost in the Shell... autant de chefs-d’œuvre qu’il n’est plus besoin de présenter et qui ont aidé le cinéma d’animation à rentrer dans une phase de maturité internationalement reconnue.
Avalon, vous l’aviez sans doute déjà compris, traite donc de réalité virtuelle. Dans l’ambiance d’une Pologne rétro-futuriste qui n’est pas sans rappeler le Japon alternatif de Jin-Roh (quoi de plus normal, puisque le film de Hiroyuki Okiura, une production du Studio IG, est une adaptation - indirecte, certes - du manga Panzer Cops ayant déjà servi de background aux deux films live de l’auteur), Ash - qui tire son nom de la mèche argentée qu’elle possède au sein du monde virtuel - fait partie des meilleurs joueurs du wargame clandestin. Ancien membre du party Wizard, dissous dans d’étranges circonstances, elle construit sa propre légende en jouant au jeu en solo en tant que Warrior. Désormais de niveau 11 et en Classe A, elle se voit provoquée par un Bishop (a priori, le rang le plus élevé que l’on puisse atteindre dans Avalon), pour accepter de partir aux trousses d’un Ghost (une jeune fille qui apparaît au cours de certains niveaux), dont l’exécution provoquerait le passage en Class Super A - seul moyen d’accéder directement au cœur du programme lui-même - à savoir l’île d’Avalon...
Autant vous épargner plus longtemps le suspense, Avalon dépasse de très loin nos espoirs les plus fous. Cependant, le film ne se situe sans doute pas dans la niche où bon nombre de spectateurs l’attendaient, et l’attendent encore. Je m’explique...
Pour le néophyte - et surtout le néophyte occidental - la première vision d’un film comme Patlabor 2, ou encore Ghost in the Shell, provoque souvent une déception due à une incompréhension plus formelle que sémantique. Les deux œuvres sus-citées, ancrées dans des univers visuels très forts, se débarrassent, au fil de leurs narrations similaires, de tous leurs apparats technologiques pour se recentrer sur des problèmes humains. C’est pourquoi Patlabor 2 ne se termine pas plus sur un combat de Labors que Ghost in the Shell sur une scène d’action époustouflante. Dans les deux cas, le mot-clé de tout ça est bien sûr ’humanité’. C’est en ce sens qu’Avalon risque de décevoir certaines personnes qui éprouve une difficulté à regarder un film autrement que dans le cadre de l’image qu’ils s’en sont fait. Car, une fois de plus, Avalon est loin d’être un film d’action. Cependant, les effets incroyables de la bande-annonce ne sont pas omniprésents mais sont véritablement magnifiques, le traitement en bichromie du film est terrassant, les textures hallucinantes... bref, un feu d’artifice visuel, certes, mais en douceur.
Dans sa construction, Avalon est en tout point identique à Ghost in the Shell. Beaucoup de gens n’hésiteront d’ailleurs pas à le qualifier de version live contournée de l’anime, et ils n’auront pas complètement tort, car on peut même aller jusqu’à reconnaître dans la beauté froide de Ash (Malgorzata Foremniak, étrangement magnifique) des traits communs à un certain Major Kusanagi... Pré-générique traumatisant qui passe par la même succession d’actions/immobilisations, suivi par un générique qui laisse éclater le thème de Kenji Kawai, une fois de plus inoubliable. Pour commencer véritablement le film, on se retrouve presque avec le même plan que celui où le Major quittait sa chambre dans Ghost in the Shell, avec Ash qui sort de sa salle personnelle de jeu...
Le film suit ensuite la même évolution que toutes les œuvres d’Oshii : une fois l’univers construit et détaillé dans ses moindres détails, les effets laissent la place à une authenticité épurée, dans laquelle les véritables thèmes de l’histoire peuvent être abordés, jusqu’à atteindre cette frontière presque palpable et si difficile à rendre passionante avec le vide cinématographique.
Mais ce n’est pas le vide que Oshii atteint dans les derniers instants de ce long-métrage de science-fiction atypique. Au contraire, c’est plutôt une maîtrise, visuelle et de fond, absolument parfaite, qui rend le miracle Avalon possible et le transforme en classique instantané, comme Ghost in the Shell en son temps, et prouve bien que les plus grands auteurs refont sans cesse le même film, dans le désir d’atteindre la perfection.
Au vu d’Avalon, on est en droit de se demander si, grâce à cet équilibre trompeur et trop rare entre néant et cohérence absolue, dans lequel technologie rime avec mythologie et théologie (car c’est autant d’anciens Dieux que de nouveaux qu’Oshii traite ici), ce stade n’a pas été atteint, une fois pour toutes. Car s’il ne doit y avoir qu’un seul film véritablement parfait, sur tous les niveaux, il s’agit de celui-ci.
Welcome to Avalon...
Le film est disponible en DVD au Japon, dans deux éditions différentes.
La première se compose d’un seul DVD et présente le film au format, dans une copie anamorphique, avec une bande-son en polonais 5.1 EX ou DTS, au choix, ou encore en japonais (en stéréo). Des sous-titres anglais et japonais sont égalements disponibles.
La seconde édition - le fameux Memorial Box - contient le DVD simple, plus un deuxième DVD consacré aux suppléments. Sur celui-ci, un premier documentaire de près de deux heures sur la création du film, et un autre d’une heure consacré intégralement aux effets spéciaux novateurs du film. Pour compléter le lot, une galerie de dessins de production commentés, les trailers et un économiseur d’écran. Le tout sans sous-titres, il va sans dire. En bonus, un livret de 280 pages contenant le scénario du film (en japonais...) et surtout le storyboard dessiné par Oshii lui-même, qui permet d’apprécier de façon évidente la maîtrise complète du projet, de par la simplicité du travail effectué : impressionant... Bien sûr, ca coûte cher, mais qu’est-ce que c’est beau tout ça !