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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2003 | Festival du film asiatique de Deauville 2013

Suicide Club

aka Suicide Circle, Jisatsu Sâkuru, Jisatsu Circle | Japon | 2002 | Un film de Shion Sono | Avec Ryo Ishibashi, Masatoshi Nagase, Saya Hagiwara, Tamao Satô, Mai Hôshô, Rolly, Takashi Nomura, Yôko Kamon, Akaji Maro, Kimiko Yo, Hideo Sako

Polar Baroque [qui est d’une irrégularité bizarre au sens physique et au sens moral] et Sublime [qui est au plus haut degré de l’élévation, de la grandeur, de la noblesse, de la beauté]...

Tôkyô. Gare de Shinjunku. Cinquante-quatre lycéennes se donnent la main et sautent toutes ensemble sous le train qui arrive alors... Cet étrange suicide collectif, n’est que le premier d’une longue vague qui va déferler sur tout le Japon...

Toshiie Kuroda et Kenji Shibuwasa, deux flics, sont sur l’affaire... pas évident. La police trouve sur les lieux du premier suicide, un sac de sport contenant plusieurs centaines de mètres de morceaux de peaux humaines cousus les uns aux autres... Les pistes se multiplient, tandis que les suicides ne cessent... Les forces de l’ordre sont dépassées.

Le web semble être une piste plausible ; tandis que Shibusawa dialogue par écran interposé avec une certaine ’Kômori’ ("Chauve-souris") à propos d’un étrange site sur lequel des points rouges et blancs seraient censés représenter le nombre de suicidés, le fils de Kuroda, découvre quant à lui un "groupe" anti-suicides dont on peut rejoindre les rangs en envoyant un simple mail... mais l’enquête semble faire du surplace. En parallèle, le Japon est submergé par l’apparition d’un idol band, ’Dezâto’, dont les chansons sont fredonnées par les trois quarts de la population. Puis, un "club du suicide" fait son apparition ; l’instigateur, un certain Genesis y prône le suicide... bidon ou pas ? crimes ou suicides ?... la police ne sait plus sur quel pied danser, tandis que les morts ne cessent de progresser...

Il est des films qui vous transportent dans un univers étrange et cauchemardesque, onirique et effrayant, repoussant et attirant... Il est des films dont on ne ressort pas indemne, tant physiquement que psychologiquement... Ils sont rares... En plus de ces sensations, Jisatsu Sâkuru procure un sentiment de bonheur ultime, rarement égalé...

Neuvième long-métrage du touche à tout Shion Sono, cinéaste/poète/écrivain activiste ayant œuvré notamment dans le X gay et le documentaire, fer de lance du collectif de poésie urbaine "Tôkyô GaGaGa" [1], Jisatsu Sâkuru n’est pas l’adaptation d’un manga comme on a pu le lire ici ou là...

Au départ, les élucubrations d’un homme expatrié à San-Francisco... Sono, s’ennuie loin de son pays, il dépérit petit à petit, rongé par la déprime. Au fond de lui, la colère ne demande qu’à exulter... son exutoire sera l’écriture. Il écrit Jisatsu Sâkuru, sorte d’étrange roman dont la vision poétique et ésotérique n’est pas à la portée de tous les lecteurs ; "je ne veux pas que le lecteur comprenne... d’ailleurs, il n’est pas important de comprendre". En colère contre le Monde entier, l’écriture le soulage... ou plutôt soulage une partie de son être, puisqu’il dira qu’un "autre lui-même" a co-écrit avec lui... Le livre terminé, Sono se retrouve avec non pas un script mais deux ; "je ne sais pas si j’ai d’abord écrit le livre ou le scénario... et je ne sais pas quelle part de moi-même à écrit l’un ou l’autre..." De retour au Japon, il demande au mangaka Furuya Usamaru (qui se retranscrit officiellement - et étrangement - Wsamaru) d’adapter son histoire. Ce dernier refuse, puisque pour lui le livre et le film sont auto-suffisants. Mais Shion lui propose alors de le faire à sa sauce, autrement dit de reprendre les éléments qui lui conviennent et de modifier le reste. Usamaru accepte. Dans le même temps, le romancier Sadamu Yamashita écrit un autre Jisatsu Sâkuru, dont la fin sera plus explicite... Voilà pour la genèse du phénomène Jisatsu Sâkuru.

Jisatsu Sâkuru le film, est une sorte de... hmm... laissez moi réfléchir... disons que ce film est aux polars ce que le Rocky Horror Picture Show est à Singin’ in the Rain. En fait, si je fais référence aux comédies musicales, c’est en partie parce que le film de Sono en reprend certains ingrédients... pour le plus grand bonheur des spectateurs que nous sommes !

Au premier abord, il s’agit d’un polar incluant quelques morceaux gores, incorporés avec parcimonie (hé hé hé !!!)... puis très vite, le film inclut des éléments musicaux ; tout d’abord avec Dezâto (’Desert’ si vous préférez), idol band composé de - très - jeunes filles, pré-pubères, faisant penser à une sorte de crossover entre les Minimoni (l’une des nombreuses "factions" des Morning Musume, créée par les quatre plus petites MM - toutes les quatre mesurent moins d’1m50...), Speed et les Ministars (oui enfin en même temps, qui se souvient des Ministars... vous savez, ce "groupe" qui chantait les chansons des Mondes Engloutis ?!... non... bon tant pis !). Puis par la suite avec l’incroyable personnage qu’est Genesis, sorte de glameur mégalo et cinglé, quant à lui à mi-chemin entre Ziggy Stardust et Frank N’Furter (aka Tim Curry dans le Rocky Horror), bref un peu les New York Dolls à lui tout seul, qui pousse la chansonnette (sublime ’Suicide Kiss’) pour expliquer ses vues quant au devenir de la planète... Tout ce petit monde fait partie intégrante du film, aussi fou que cela puisse paraître, et côtoie les enquêteurs de la police qui ont bien du mal à discerner le vrai du faux...

Shion Sono s’est entouré d’un casting pour le moins talentueux ; c’est Ryo Ishibashi qui campe l’inspecteur Kuroda, héros tragique de cette histoire pour le moins alambiquée. Ryo Ishibashi, musicien et chanteur, mais également acteur, notamment chez Miike (Audition /1999) et Kitano (Kids Return /1996, Brother /2000), mais également dans le noirissime Shin Kanashiki Hitman (Rokuro Mochizuki /1995), ou encore Koroshi (Masahiro Kobayashi /2000) et Dog Star (Takahisa Zeze /2002). Dans le rôle de son équipier Shibusawa, c’est le non moins excellent Masatoshi Nagase qui est de la partie ; de Mystery Train (Jim Jarmusch /1989) à Stereo Future (Hiroyuki Nakano /2001), en passant par Shinde mo ii (Takashi Ishii /1992), Gojoe (Sôgo Ishii /2000), Party 7 (Katsuhito Ishii /2000) ou encore Pistol Opera (Seijun Suzuki /2001), l’acteur impose son style et son talent partout où il passe. Nos deux malheureux flics sont entourés d’acteurs confirmés tels Akaji Maro (Monday, Kikujiro no Natsu) qui interprète ici l’inspecteur Murata, ou encore Kimiko Yo (Nûdo no Yoru, Kizudarake no Tenshi) qui quant à elle joue l’épouse de Kuroda. Gravitent tout autours de jeunes talents comme l’étrange et pourtant charmante Saya Hagiwara dont c’est le premier film (elle a depuis retravaillé avec Sono), et les aidoru/talento Yôko Kamon, Tamao Sato ou encore Mai Hôshô (Tomie Replay)...

Critique acerbe de la société nippone et d’un consumérisme exacerbé, autant qu’une magnifique et poétique vision de l’avenir de l’humanité on ne peut plus optimiste, Jisatsu Sâkuru pose deux questions essentielles ; qu’est donc l’individu en tant qu’être, au sein d’une société où le groupe est privilégié, et que faire lorsque l’on se retrouve seul face à soi-même ?... Sono y répond d’une fort belle manière, en confiant l’avenir de l’homme aux enfants...

DVD (pas vu) | Daiei | NTSC | Zone 2 | Format : 1:1:85 - 4/3 | Ce DVD ne contient pas le moindre sous-titre.

Le CD de la bande originale du film est disponible au Japon. Elle contient 5 titres (’Pazuru’ (Puzzle) et ’Raito Wansu’ - les deux chansons des Dezâto, ’Suicide Kiss’ - interprétée par Genesis (Rolly), et deux thèmes composés par Tomoki Hasegawa à qui l’on doit notamment la musique de Minky Momo (Gigi), et Mitsuru Kuramoto), et ne coûte que 1500 Y. [Réf. OMCD-0001]

Bonus
Site Officiel: http://www.omega-micott.co.jp/haikyo
Site Officiel de Shion Sono: http://www.sonosion.com
Site Officiel de Rolly: http://www.color-by-technicolor.com/rolly
Site Officiel de Mitsuru Kuramoto: http://www.kuramoto-mituru.com

[1Cf. Otaku de Jean-Jacques Beineix.

- Article paru le dimanche 23 mars 2003

signé Kuro

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