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Taiwan | Chine

Betelnut Beauty

aka Ai Ni Ai Wo | Taiwan / Chine / France | 2000 | Un film de Lin Cheng-sheng | Avec Chang Chen, Angelica Lee, Leon Dai, Kao Ming-chun, Tsai Cen-nan

Le mouvement est presque imperceptible, mais il résume à lui seul la force de Betelnut Beauty. La caméra suit le mouvement d’un autobus quand elle est happée par la marche d’une jeune fille, bien déterminée à laisser sa mère dernière elle. Comme un aimant, la caméra se bloque sur la jeune fille pour ne plus la quitter des yeux. Alors qu’un orage éclate, elle s’avance au milieu de la rue pour recevoir la pluie sur le visage et se met à hurler. Là encore, la caméra est condamnée à lui tourner autour jusqu’à ce que quelque chose vienne rompre l’équilibre. Ce quelque chose, c’est un jeune homme, qui arrive à côté d’elle pour faire la même chose. Grâce à lui et à son point de vue, la caméra retrouve sa subjectivité et parvient à récupérer suffisamment de contrôle pour terminer le portrait féminin. Cette jeune fille, c’est Fei-Fei, et, en quelques plans, Lin Cheng-sheng va vous donner l’opportunité de la rencontrer, de la connaître et de l’aimer.

Taipei. Fei-Fei est une adolescente fugueuse qui envie à son père volage sa liberté. Alors que sa mère vient tout juste de la retrouver chez une amie, elle réussit à s’enfuir à nouveau, et se décide à travailler avec Yili comme "Betelnut Beauty" (ces jeunes filles en tenues aguicheuses qui vendent des noix de bétel [1] à même la rue, principalement aux chauffeurs de taxis et aux camionneurs). Feng, lui, vient de terminer son service militaire et rêve depuis toujours de s’installer dans cette ville "pour riches". Feng et Fei-Fei tombent vite amoureux l’un de l’autre. Alors que le jeune homme essaye de sortir Fei de son business (limite illégal), il tente aussi de résister, autant que faire se peut, aux avances crapuleuses et maladroites de Guang, membre de l’un des gangs du quartier et ennemi de Petit Tigre, l’ancien petit ami de Yili...

Je crois bien que cette histoire nous a déjà été comptée mille fois, dans tous les pays du monde, avec autant de voix et dans autant de langues différentes. Mais il y a tout de même quelque chose qui permet à Betelnut Beauty de faire la différence. Il y a l’humour (voir la scène où Feng et Guang essayent de voler un distributeur de billets), les personnages, l’âme de la ville si bien esquissée au détour d’une étale de bétel. Il y a Feng, magnifiquement interprété par Chang Chen qui prouve, après Tigre & Dragon et Happy Together, qu’il est vraiment un acteur exceptionnel. Et puis il y a les trois derniers atouts, imparables et indissociables.

Le premier, bien sûr, c’est Fei-Fei elle-même, à savoir : Angelica Lee. Chanteuse chinoise d’origine malaysienne, elle trouve ici son deuxième rôle au cinéma (si je ne me trompe pas) et prouve qu’il suffit parfois d’un regard, d’un sourire ou d’un cri, pour qu’un film tienne la route. Débordante de charisme et d’énergie, elle offre à Betelnut Beauty une authenticité et une vitalité remarquables. Quand elle se laisse emporter par sa propre chanson, vers la fin du film, on a presque l’impression que le cadre de l’image lui-même va se mettre à trembler, comme dans Fight Club ou Requiem for a Dream, tant son désir de vivre est puissant et communicatif.
Le second atout du film, c’est la réalisation. Lin Cheng-sheng a bien compris qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter quand ses protagonistes étaient devant la caméra. Son jeu de mise en scène se base donc principalement sur des mouvements et des cadrages subtils, un peu comme dans la scène où Fei prépare sa fugue définitive de chez elle : pudique - presque timide - la caméra navigue entre un miroir qui nous offre des bribes de visage et la poitrine de Fei. Inutile d’écraser la scène sous le regard de la jeune chanteuse devenue actrice (qui effectue, symboliquement, le parcours inverse dans le film) pour en faire saisir les enjeux. Lin Cheng-sheng parvient ainsi à gérer, tout au long du métrage, le charisme et la présence de ses acteurs.
Enfin, le troisième atout est à la fois une caractéristique des deux premiers et une valeur résultant de leur association. Vous ne devinez pas ? Ce n’est pourtant pas dur ; c’est ce qui fait que vous n’oublierez pas ce film avant longtemps. C’est le talent. Tout simplement.

Betelnut Beauty n’est pour l’instant disponible sur aucun support... si ce n’est vos salles de cinéma, alors dépéchez-vous !!!

[1Noix à l’effet euphorisant proche de la marijuana.

- Article paru le mardi 10 juillet 2001

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